Madagascar : le grand gâchis !
Thématique :
La Reunion,
madagascar
CLICANOO.COM | Publié le 9 février 2009
Les émeutes meurtrières survenues à Madagascar fin janvier ont surpris la communauté internationale. Pourtant, les observateurs et certains investisseurs locaux présents sur place disent avoir senti les prémices de cette nouvelle crise, inéluctable selon eux. Car malgré les espoirs qu’il a suscités à son arrivée à la présidence en 2002, Marc Ravalomanana semble, entre autres errements, avoir totalement oublié son peuple dans la croissance. Si la confiance des investisseurs risque de mettre des années à revenir, tous veulent garder espoir en l’avenir de la Grande Île. Ne serait-ce, comme ils le disent en substance, que parce qu’elle ne peut pas tomber plus bas.
Pieds nus. Mains tendues. Vêtements déchirés des enfants à l’air suppliant. Au-delà des paysages idylliques, voilà la photographie mentale que tout occidental garde inévitablement d’un séjour à Madagascar. Une image encore plus présente dans la capitale où la vie urbaine, la concentration de population et le contraste créé par les rares bâtiments de luxe rendent la misère encore plus tangible. Dénuement, prostitution, corruption... Ces termes finissent forcément par intervenir dans le récit. Voilà le cadre où ont explosé les émeutes meurtrières du 26 janvier dernier, menées par les partisans du maire de Tananarive, Andry Rajoelina, en opposition au président de la République, Marc Ravalomanana. De crises en dictateurs, d’espoirs déçus en avancées de la misère, la problématique malgache semble aujourd’hui plus que jamais inextricable. Pourtant, la Grande Île a déjà réussi à effleurer la prospérité. Ancienne colonie française, Madagascar a accédé à l’indépendance en 1960. Dans les dix ans qui ont suivi, ce fut l’un des pays africains les plus nantis en termes de revenu et de niveau de vie. Puis il a connu une régression provoquée par plusieurs décennies de mauvaise gestion économique et de crises périodiques. La croissance annuelle du PIB (Produit intérieur brut) n’a représenté pendant de longues années que 0,5 % en moyenne, au regard d’un taux de croissance démographique à 2,7 %. Le revenu par habitant est ainsi passé de 473 dollars en 1970 à 290 dollars en 2005, reléguant Madagascar parmi les pays les plus pauvres du monde. Aujourd’hui, plus des deux tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Selon le rapport 2007-2008 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), l’indice de développement humain de Madagascar se situe à 0,5333, ce qui classe l’île en 143e position sur 177 pays. Cet indice est basé quatre indicateurs que sont l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’études, le taux d’alphabétisation des adultes et le niveau de vie. L’installation de Marc Ravalomanana au poste présidentiel en 2002 et sa réélection en 2006 ont pourtant suscité de grands espoirs au sein de la population malgache et de la communauté internationale. L’État a été engagé sur la voie du développement économique.
Croissance du PIB et de la pauvreté...
Après la crise de 2002, le taux de croissance du PIB s’est rétabli à 9,8 % en 2003 à la suite de la chute de 12,7 % enregistrée un an auparavant, puis il a continué de croître à un taux moyen de 5 % les années suivantes. Une hausse favorisée en grande partie par l’augmentation des investissements publics (financés par les apports d’aide extérieure), les recettes touristiques et l’apport d’investissement direct étranger dans les projets miniers. Affichant un volontarisme sans faille, Marc Ravalomanana, aussi surnommé "Monsieur Businessman", a notamment mis en place un plan de développement pour 2007-2012, le MAP, Plan d’action pour Madagascar, stratégie de réduction de la pauvreté de deuxième génération par la mise en œuvre accélérée de réformes. En 2007, le président malgache déclarait aux investisseurs réunionnais en mission sur place vouloir doubler le PIB du pays (de 5 à 12 milliards de dollars) et quintupler les investissements étrangers (de 94 à 500 millions d’euros) du pays dans les cinq ans. Tous ne demandaient qu’à le croire. Mais si la croissance a bien été au rendez-vous jusqu’ici, elle semble avoir davantage profité aux affaires privées de Marc Ravalomanana qu’à son peuple. "Le problème essentiel à Madagascar, c’est le pouvoir d’achat, affirme François Mandroux, président du Club Export et directeur général de l’agence de conseil en communication Factories OI, implantée à Tananarive depuis 10 ans. Selon un paradoxe inadmissible, depuis 2002, le PIB par habitant n’a cessé de diminuer alors que le PIB de l’État a continûment augmenté. La croissance est mal répartie et les Malgaches veulent que cela change. Nous sentions bien sur le terrain les tensions qui se sont amplifiées au cours des derniers mois." Gilles Couapel, PDG de la société portoise de traitement de l’eau Dom’eau, aussi vice-président du Club Export, partage le même constat. "La gouvernance malgache a fait de bonnes choses pour l’économie mais elle a oublié le social, déclare-t-il. Or, on ne peut pas négliger ce domaine quand on veut se développer." Le chef d’entreprise ne s’attendait pas cependant à ce que la situation explose de façon aussi brutale.
Des années pour remonter la pente
"Madagascar est un pays difficile, nous le savions, poursuit Gilles Couapel. Mais je ne pensais plus devoir m’inquiéter avant les élections présidentielles de 2011. Je n’ai rien vu venir. Quand j’ai découvert les images au JT le soir du premier jour des émeutes, j’étais dépité. J’ai tout de suite pensé que le mal était fait." Et pour cause. En tant que l’un des premiers défenseurs du marché malgache auprès des opérateurs locaux, Gilles Couapel sait le temps qu’il a fallu pour susciter les premiers frémissements de confiance. Et combien un échafaudage aussi laborieux s’écroule vite. "Notre export à la Réunion est ridicule, déclare Gilles Couapel. Or, ces derniers mois, je rencontrais des chefs d’entreprise de plus en plus motivés, notamment à l’égard de Madagascar. Leur état d’esprit évoluait depuis deux ans Mais en quelques heures, la confiance des investisseurs et des banques, qui avait mis des années à revenir, s’est écroulée. Ils ne veulent plus entendre parler de la Grande Île. Après m’être battu depuis des années pour promouvoir Madagascar, je prends un grand coup derrière la tête. C’est une catastrophe. Il va falloir des années pour remonter la pente et réparer les dégâts causés par trois jours d’émeute " Mais Gilles Couapel tout comme François Mandroux n’ont pas l’intention de lâcher leur bâton de pèlerin. "Je reste un "madaoptimiste", déclare le président du Club Export. Les "madapessimistes" vous diront qu’ils ont toujours su que les Malgaches ne s’en sortiraient jamais. Mais je suis convaincu que la Grande Île évoluera. Dans le cadre de la coopération régionale, on ne peut de toute façon pas tirer un trait sur Madagascar." Dans quelques mois, l’État encore dirigé par Marc Ravalomanana doit accueillir le congrès de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) et en 2010 celui de la francophonie, que le président s’est battu pour obtenir. Autant de manifestations valorisantes pour la Grande Île mais qui ne suffiront sans doute pas à redorer aussi vite l’image d’un pays qui, agrippé aux parois depuis une poignée d’années, vient de retomber brutalement au fond du gouffre.
Textes et photos : Séverine Dargent [Journal de l'Ile de La Reunion]
Les émeutes meurtrières survenues à Madagascar fin janvier ont surpris la communauté internationale. Pourtant, les observateurs et certains investisseurs locaux présents sur place disent avoir senti les prémices de cette nouvelle crise, inéluctable selon eux. Car malgré les espoirs qu’il a suscités à son arrivée à la présidence en 2002, Marc Ravalomanana semble, entre autres errements, avoir totalement oublié son peuple dans la croissance. Si la confiance des investisseurs risque de mettre des années à revenir, tous veulent garder espoir en l’avenir de la Grande Île. Ne serait-ce, comme ils le disent en substance, que parce qu’elle ne peut pas tomber plus bas.
Pieds nus. Mains tendues. Vêtements déchirés des enfants à l’air suppliant. Au-delà des paysages idylliques, voilà la photographie mentale que tout occidental garde inévitablement d’un séjour à Madagascar. Une image encore plus présente dans la capitale où la vie urbaine, la concentration de population et le contraste créé par les rares bâtiments de luxe rendent la misère encore plus tangible. Dénuement, prostitution, corruption... Ces termes finissent forcément par intervenir dans le récit. Voilà le cadre où ont explosé les émeutes meurtrières du 26 janvier dernier, menées par les partisans du maire de Tananarive, Andry Rajoelina, en opposition au président de la République, Marc Ravalomanana. De crises en dictateurs, d’espoirs déçus en avancées de la misère, la problématique malgache semble aujourd’hui plus que jamais inextricable. Pourtant, la Grande Île a déjà réussi à effleurer la prospérité. Ancienne colonie française, Madagascar a accédé à l’indépendance en 1960. Dans les dix ans qui ont suivi, ce fut l’un des pays africains les plus nantis en termes de revenu et de niveau de vie. Puis il a connu une régression provoquée par plusieurs décennies de mauvaise gestion économique et de crises périodiques. La croissance annuelle du PIB (Produit intérieur brut) n’a représenté pendant de longues années que 0,5 % en moyenne, au regard d’un taux de croissance démographique à 2,7 %. Le revenu par habitant est ainsi passé de 473 dollars en 1970 à 290 dollars en 2005, reléguant Madagascar parmi les pays les plus pauvres du monde. Aujourd’hui, plus des deux tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Selon le rapport 2007-2008 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), l’indice de développement humain de Madagascar se situe à 0,5333, ce qui classe l’île en 143e position sur 177 pays. Cet indice est basé quatre indicateurs que sont l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’études, le taux d’alphabétisation des adultes et le niveau de vie. L’installation de Marc Ravalomanana au poste présidentiel en 2002 et sa réélection en 2006 ont pourtant suscité de grands espoirs au sein de la population malgache et de la communauté internationale. L’État a été engagé sur la voie du développement économique.
Croissance du PIB et de la pauvreté...
Après la crise de 2002, le taux de croissance du PIB s’est rétabli à 9,8 % en 2003 à la suite de la chute de 12,7 % enregistrée un an auparavant, puis il a continué de croître à un taux moyen de 5 % les années suivantes. Une hausse favorisée en grande partie par l’augmentation des investissements publics (financés par les apports d’aide extérieure), les recettes touristiques et l’apport d’investissement direct étranger dans les projets miniers. Affichant un volontarisme sans faille, Marc Ravalomanana, aussi surnommé "Monsieur Businessman", a notamment mis en place un plan de développement pour 2007-2012, le MAP, Plan d’action pour Madagascar, stratégie de réduction de la pauvreté de deuxième génération par la mise en œuvre accélérée de réformes. En 2007, le président malgache déclarait aux investisseurs réunionnais en mission sur place vouloir doubler le PIB du pays (de 5 à 12 milliards de dollars) et quintupler les investissements étrangers (de 94 à 500 millions d’euros) du pays dans les cinq ans. Tous ne demandaient qu’à le croire. Mais si la croissance a bien été au rendez-vous jusqu’ici, elle semble avoir davantage profité aux affaires privées de Marc Ravalomanana qu’à son peuple. "Le problème essentiel à Madagascar, c’est le pouvoir d’achat, affirme François Mandroux, président du Club Export et directeur général de l’agence de conseil en communication Factories OI, implantée à Tananarive depuis 10 ans. Selon un paradoxe inadmissible, depuis 2002, le PIB par habitant n’a cessé de diminuer alors que le PIB de l’État a continûment augmenté. La croissance est mal répartie et les Malgaches veulent que cela change. Nous sentions bien sur le terrain les tensions qui se sont amplifiées au cours des derniers mois." Gilles Couapel, PDG de la société portoise de traitement de l’eau Dom’eau, aussi vice-président du Club Export, partage le même constat. "La gouvernance malgache a fait de bonnes choses pour l’économie mais elle a oublié le social, déclare-t-il. Or, on ne peut pas négliger ce domaine quand on veut se développer." Le chef d’entreprise ne s’attendait pas cependant à ce que la situation explose de façon aussi brutale.
Des années pour remonter la pente
"Madagascar est un pays difficile, nous le savions, poursuit Gilles Couapel. Mais je ne pensais plus devoir m’inquiéter avant les élections présidentielles de 2011. Je n’ai rien vu venir. Quand j’ai découvert les images au JT le soir du premier jour des émeutes, j’étais dépité. J’ai tout de suite pensé que le mal était fait." Et pour cause. En tant que l’un des premiers défenseurs du marché malgache auprès des opérateurs locaux, Gilles Couapel sait le temps qu’il a fallu pour susciter les premiers frémissements de confiance. Et combien un échafaudage aussi laborieux s’écroule vite. "Notre export à la Réunion est ridicule, déclare Gilles Couapel. Or, ces derniers mois, je rencontrais des chefs d’entreprise de plus en plus motivés, notamment à l’égard de Madagascar. Leur état d’esprit évoluait depuis deux ans Mais en quelques heures, la confiance des investisseurs et des banques, qui avait mis des années à revenir, s’est écroulée. Ils ne veulent plus entendre parler de la Grande Île. Après m’être battu depuis des années pour promouvoir Madagascar, je prends un grand coup derrière la tête. C’est une catastrophe. Il va falloir des années pour remonter la pente et réparer les dégâts causés par trois jours d’émeute " Mais Gilles Couapel tout comme François Mandroux n’ont pas l’intention de lâcher leur bâton de pèlerin. "Je reste un "madaoptimiste", déclare le président du Club Export. Les "madapessimistes" vous diront qu’ils ont toujours su que les Malgaches ne s’en sortiraient jamais. Mais je suis convaincu que la Grande Île évoluera. Dans le cadre de la coopération régionale, on ne peut de toute façon pas tirer un trait sur Madagascar." Dans quelques mois, l’État encore dirigé par Marc Ravalomanana doit accueillir le congrès de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) et en 2010 celui de la francophonie, que le président s’est battu pour obtenir. Autant de manifestations valorisantes pour la Grande Île mais qui ne suffiront sans doute pas à redorer aussi vite l’image d’un pays qui, agrippé aux parois depuis une poignée d’années, vient de retomber brutalement au fond du gouffre.
Textes et photos : Séverine Dargent [Journal de l'Ile de La Reunion]