mercredi 11 février 2009

Interview de JOHN DAVIES, DIRECTEUR EXECUTIF DE LA « COMPETITION COMMISSION OF MAURITIUS »

« Les règles de la compétition sont les mêmes pour tous les pays »

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN pour l'EXpress de Maurice

John Davies est à Maurice depuis une semaine pour aider à la mise sur pied d’une commission sur la compétition, qu’il devrait diriger. La «Competition Act »n’a pas été totalement proclamée. Mais cela ne devrait pas tarder, dit- il.

Comment vous êtes- vous retrouvé à la « Competition Commission » à Maurice ?

Il y avait un mail qui circulait parmi les cadres de la Competition Commission de la Grande- Bretagne, faisant état d’un appel de Maurice à des professionnels dans le secteur de la compétition, pour assurer les fonctions de directeur d’une nouvelle commission sur la compétition à Maurice. J’étais arrivé à un stade de ma vie professionnelle et personnelle où je cherchais un peu de changement. Londres peut être assez mouvementée et éreintante.

J’en ai discuté avec mon épouse et à ma surprise, elle était très enthousiaste pour que je postule.

La situation était idéale pour les enfants aussi : ils sont en bas age. J’ai commencé à correspondre avec le ministre responsable de l’époque, Rajesh Jeetah, et voilà. Je savais depuis octobre dernier que ma candidature avait été retenue et je suis arrivé il y a un peu plus d’une semaine.

Que saviez- vous du marché à Maurice quand vous avez postulé et subséquemment accepté l’offre que l’on vous a faite ?

Pas grand- chose je dois dire.

Ma décision était surtout motivée par une opportunité qui s’est présentée à moi.

Quel est exactement le rôle d’une commission sur la compétition ?

Elle applique la loi selon ce qui est prévu dans la Competition Act de 2007. Cette législation définit un certain nombre de pratiques commerciales dont certaines seront tout bonnement interdites dès que la loi dans sa totalité prendra effet. Certaines pratiques considérées par la loi comme étant nuisibles à un marché sain peuvent conduire à une enquête de la commission et à la décision éventuelle de demander aux entreprises de ne plus s’engager dans des pratiques interdites. Des sanctions telles les amendes sont aussi prévues. Donc la commission devra prendre ce genre de décisions par rapport aux entreprises qui s’adonnent à des pratiques interdites. Elle a, à cet effet, un pouvoir discrétionnaire. Par exemple, s’il s’agit d’une situation de monopole, la commission peut décider si la firme en situation de monopole est en train d’abuser ou non de la situation.

Et qui siégera sur cette commission ?

Cette décision n’a pas encore été prise mais la structure de la commission est importante. Il y aura cinq commissaires qui ne seront pas des employés à plein temps de la commission et ce sera à eux de juger les cas. Mon équipe et moi mènerons les enquêtes et une fois une enquête bouclée, elle sera présentée à la commission, qui jugera de l’affaire.

Si une entreprise n’est pas d’accord avec une décision de la commission, elle peut faire appel de la décision à la Cour suprême.

Comme vous voyez, il y a un système de séparation de pouvoirs que j’estime très important.

Et comment décidez-vous des enquêtes à mener ?

N’importe qui peut attirer notre attention sur des pratiques qu’il juge douteuse. La décision d’aller de l’avant ou non avec une enquête est à notre discrétion.

Et l’idée derrière tout cela serait d’avoir un marché sain ?

La compétition affecte beaucoup de choses ; l’un des effets dans le court terme sera que les prix vont baisser. Mais il y a, depuis un moment, des preuves irréfutables que les bénéfices de la concurrence sont bien plus que la baisse des prix. Un marché compétitif à Maurice va générer un dynamisme qui ne sera que bénéfique pour le pays.

Dans les faits, ce que la commission peut faire, c’est prendre des décisions spécifiques par rapport à des entreprises ; cela se fera au cas par cas. Je précise cela parce que certaines personnes peuvent penser qu’une fois la commission installée, les choses vont subitement changer.

Ce ne sera pas le cas. Nous ne pouvons examiner les abus et pratiques commerciales qu’au cas par cas. Mais dans le long terme, quand ces abus et pratiques auront été éliminés, un dynamisme sera créé.

Ce sont donc les conséquences de vos actions qui apporteront ce dynamisme ?

Dans le long terme, ce qui va probablement se passer, c’est qu’un changement d’attitude de la part des entreprises commerciales amènera ce dynamisme.

C’est l’idée derrière cette commission – si toutes les entreprises respectent les règles du jeu et ne font rien pour empêcher les autres de jouer sur un pied d’égalité, nous serons heureux car nous n’aurons rien à faire ! Alors, nous serons ce chien de garde qui veillera à ce que les règles soient respectées.

Et avez- vous eu le temps de vous rendre compte de la situation du marché à Maurice ?

Pas encore. Je ne suis là que depuis une semaine.

-Mais vous avez été briefé ?

Les gens m’ont dit de nombreuses choses mais je ne pourrai commenter que quand j’aurai l’occasion de mener une enquête. Et tout sera fait dans la transparence la plus totale.

Quand nous prendrons une décision, nous devrons l’expliquer.

Vous êtes probablement conscient que le marché tel qu’il est, est très inégal ?

( Hésitations et sourire…) On m’a dit beaucoup de choses.

A quel point est- ce que la commission pour la compétition a été un succès en Grande- Bretagne ?

Elle a certainement mené à une situation où il y a plus de concurrence. Il y a eu de nombreuses études menées sur les effets de la concurrence sur la croissance économique en Grande- Bretagne. Il a été démontré qu’une économie compétitive a la possibilité de croître davantage. Mais la concurrence n’est pas que créée par des lois, il faut créer l’espace et les conditions pour qu’elle puisse insuffler du dynamisme au marché. Tout cela pour vous dire qu’il y a un consensus parmi les économistes sur les bénéfices d’une politique pro- compétition et les effets néfastes d’un monopole par exemple – que ce soit dans le court ou le long terme.

Mais il a été dit que cela ne s’applique pas nécessairement à un petit marché comme le nôtre ; est- ce vrai ?

Les règles sont les mêmes. Si je comprends bien les inquiétudes de ceux qui émettent cette opinion, c’est que Maurice étant un petit pays, ce sera normal de voir que dans beaucoup de secteurs, il y aura souvent les mêmes entreprises et qu’elles ne seront pas nombreuses dans la fabrication et la commercialisation des produits ou des services.

C’est vrai : dans un pays comme la Grande- Bretagne, il y aura beaucoup plus de joueurs. Cela dit, la loi mauricienne prend cela en considération et n’est pas comme la loi britannique. La question est : est- ce qu’une entreprise est en train d’abuser de sa situation de monopole ? Si oui, elle est en faute. Prenons la situation des cartels : deux entreprises peuvent décider de se serrer les coudes et de ne pas baisser les prix des produits. Je ne vois pas pourquoi une telle situation devrait être permise dans un petit pays. Et la loi est très claire là- dessus et nous n’avons pas de discrétion à ce sujet ; les cartels sont interdits.

Et que se passe- t- il quand il s’agit d’entreprises de l’Etat qui commercialisent des produits ?

D’après la loi, les mêmes règles s’appliquent aux compagnies de l’Etat sauf dans la commercialisation de produits pétroliers et du LPG ( gaz). J’ajoute que dans la loi de 2007, il n’y a que ces deux exceptions alors que dans l’ancienne ébauche de 2003, il y avait une longue liste de produits que seul l’Etat avait le droit de commercialiser.

Et que pensez- vous de cette loi justement ?

Je pense qu’elle est très bien. Bien meilleure et plus claire que la loi britannique. Elle contient les best practices de la compétition qui ont été très bien adaptées à la situation locale.

Si nous avons une très bonne loi, pourquoi faut- il créer une commission pour la compétition ? Pourquoi ceux qui se sentent lésés ne peuvent- ils pas saisir directement une cour de justice ?

S’il s’agit de définir s’il y a cartel, la situation est simple et pourrait effectivement être décidée par la cour mais il y a d’autres situations qui sont plus compliquées et dans lesquelles il faudrait mener une enquête pour voir si effectivement des entreprises sont en train d’abuser de leur situation. Car il ne s’agit pas que de règles qui interdisent certaines pratiques puisqu’il faut aussi prendre en considération les objectifs de ces entreprises. Par exemple dans des situations de monopole – qui n’est pas interdite par la loi, la commission devra décider si l’entreprise en situation de monopole est en train de décourager la compétition ou est en train d’agir de façon à abuser de sa situation. Les effets commerciaux de cette situation doivent aussi être pris en considération.

Si jamais une personne, disons un businessman, veut influencer une décision de la commission, qui doit- elle appeler ?

( Rires…) Pour essayer d’influencer une enquête ? Ce serait à mon niveau. Voyez- vous, la structure de la commission est basée sur le principe de séparation de pouvoirs. Et quand il y a ce principe, rien ne peut arriver sans que les deux parties ne soient d’accord. Les commissaires ne peuvent donc pas empêcher des enquêtes et je ne peux pas décider des conclusions de la commission.

Et êtes- vous conscient qu’à Maurice, les gens ont cette fâcheuse tendance à demander des faveurs ?

( Sourire…) Oui, c’est ce qu’on m’a dit.

Cela vous inquiète- t- il ?

J’ai la ferme intention de faire de la transparence mon maître mot. Les commissions sur la compétition à travers le monde ne font pas que des heureux. Les chefs d’entreprises, les commerces ne nous aiment pas particulièrement et auront toujours à redire sur nos méthodes. Ce qui est aussi vrai, c’est que dans tous les pays où il y a des commissions pour la compétition, on reçoit beaucoup de plaintes par rapport à des pratiques qui ne sont pas couvertes par la loi de la compétition et le fait que la commission ne pourra pas aller de l’avant avec ces allégations va aussi mécontenter les gens. Tout ce que je peux dire c’est que c‘ est la loi qui sera mon guide et je ne peux que faire ce que la loi me permet. Et la meilleure façon de gérer cela sera d’être aussi clair que possible quand nous expliquons les raisons pour lesquelles nous décidons d’aller de l’avant avec une enquête ou de ne pas aller de l’avant.

Vous aimez beaucoup cette loi on dirait !

C’est une bonne loi. Elle dit d’ailleurs que quand je prends une décision par rapport à une enquête sur les pratiques commerciales d’une entreprise, je ne devrais être sujet au contrôle ou à la direction d’aucune personne ou autorité. ( Rires…) Je crois que je vais faire agrandir cette clause et la mettre sur mon mur !

Vous devriez peut- être savoir que cette clause est incluse dans beaucoup de nos lois mais n’est pas en soi une garantie !

( Sourire…) Elle sera ma garantie à moi !

Savez- vous que l’identité de celui ou celle qui allait occuper ce poste était sujet à débat ici et on avait pensé qu’un étranger avait moins de chance d’être manipulé et plus de chance d’être indépendant ?

Il y a du sens dans ce raisonnement. Je n’ai pas l’intention de vivre ici, je ne suis là que pour deux ans et pendant que je suis là, mon objectif est de faire de mon mieux pour que la mise sur pied de cette commission soit un succès. Je n’ai pas d’autre agenda.

« Si toutes les entreprises respectent les règles du jeu et ne font rien pour empêcher les autres de jouer sur un pied d’égalité, nous serons heureux... »

« Les commissions sur la compétition à travers le monde ne font pas que des heureux. Les chefs d’entreprises, les commerces ne nous aiment pas... »