dimanche 15 février 2009

La crise financière et l’économie - Entretien avec Klaus Schmidt-Hebbel

Klaus Schmidt-Hebbel-Économiste en chef de l'OCDE

Quels sont les principaux effets de la crise financière sur l’économie réelle et quelles leçons en tirer pour l’avenir ? Le prochain numéro des Perspectives économiques de l’OCDE, qui paraîtra le 25 novembre, répondra en partie à ces questions. Klaus Schmidt-Hebbel, nouvel Économiste en chef de l’OCDE, nous a fait part de ses premières réflexions.

L’Observateur de l’OCDE : Dans sa mise à jour de septembre, l’OCDE brosse des perspectives économiques plutôt sombres pour le G7. Quelles sont selon vous les questions majeures au regard de la crise financière, et pouvez-vous nous livrer le fruit de vos réflexions avant la parution du prochain numéro des Perspectives économiques de l’OCDE ?

Klaus Schmidt-Hebbel : Notre dernière évaluation de l’économie, en septembre, est parue juste avant que les turbulences financières ne se transforment en véritable crise. Elle portait néanmoins sur les effets de trois facteurs à l’oeuvre depuis mi-2007 : la hausse des prix des produits de base, la contraction du marché immobilier dans plusieurs pays de l’OCDE et, déjà, les turbulences financières. Mais ces turbulences ont déclenché une crise systémique des marchés financiers mondiaux, qui concentre toutes les attentions.

Depuis mi-septembre, la confiance entre les acteurs des marchés financiers s’est évaporée, accompagnant une chute des transactions financières à court terme dans les grandes économies de l’OCDE et un effondrement des marchés boursiers mondiaux. Lorsqu’on en arrive à un blocage du crédit interbancaire, du financement par billets de trésorerie et des opérations sur les marchés monétaires, il n’y a plus de crédit pour les entreprises et les ménages. Les dépenses, la production et l’emploi pourraient potentiellement s’effondrer.

Les gouvernements et les banques centrales sont parfaitement conscients de ces énormes risques pour l’économie mondiale, comme le montrent les mesures radicales qu’ils ont prises ces dernières semaines. Ces mesures visent à sauver le système financier mondial en rétablissant la confiance et en reconstituant les bilans des institutions financières. Elles sont sans précédent par leur ampleur, par les nouveaux instruments qu’elles mobilisent, et par la coordination internationale entre grands pays qui les accompagne.

Il reste à savoir si ces mesures auront un effet rapide et efficace.

Quelles peuvent être les conséquences pour l’économie ?

Au département des Affaires économiques de l’OCDE, nous élaborons nos prévisions 2009-2010 pour 30 pays membres de l’OCDE et 10 pays non membres. Elles figureront dans nos Perspectives économiques le 25 novembre. Bien entendu, notre point de vue se fondera sur les données les plus récentes disponibles et sur notre vision du déploiement des effets de la crise financière.

Notre scénario de base repose sur l’hypothèse que le blocage actuel des marchés financiers à court terme prendra fin relativement vite, mais que le désendettement et la recapitalisation des banques, de même que le rétablissement de la confiance sur les marchés, prendront beaucoup plus de temps. D’où un prolongement de conditions financières restrictives, avec ses répercussions sur le crédit et, plus généralement, sur l’accès aux financements. Dans le même temps, la demande de crédit ralentit de toute façon, car la forte baisse des prix des actifs et le sentiment général d’incertitude poussent les ménages et les entreprises à restreindre leurs dépenses.

C’est pourquoi nous prévoyons un net ralentissement de l’économie mondiale, et une récession, tôt ou tard, pour de nombreux pays de l’OCDE.

La question est de savoir pour combien de temps. La reprise sera sans doute plus lente qu’après les récents ralentissements économiques, mais son rythme dépendra largement de celui de la reprise des opérations et du crédit sur les marchés financiers, même si le crédit reste relativement limité, au moins par rapport à la période 2002-2007.

Mais au-delà des interventions sur les marchés financiers, n’oublions pas que la politique macroéconomique doit également jouer un grand rôle pour atténuer l’impact récessif de la crise financière. Autrement dit, les économies s’affaiblissant rapidement et l’inflation refluant, certains pays de l’OCDE pourront se permettre de baisser les taux d’intérêt, et de stimuler l’activité par des mesures budgétaires ponctuelles, temporaires et ciblées.

Quels sont selon vous les principaux risques ?

Il y a deux grands risques, liés entre eux. D’une part, le dégel des marchés financiers et du crédit pourrait être plus long que prévu, ce qui affecterait plus gravement les dépenses, la production et l’emploi. Cela aboutirait à une récession plus profonde et plus durable.

L’autre risque est lié au coût budgétaire encore inconnu des plans de sauvetage gouvernementaux. Une fois la crise financière et la récession passées, des ajustements budgétaires seront nécessaires pour préserver la confiance dans la dette publique et dans la monnaie, en particulier dans les pays qui auront secouru leurs banques au prix fort.

Mais un élément positif s’annonce également : la baisse des prix du pétrole, des denrées alimentaires et des autres produits de base consécutifs au ralentissement économique mondial. Si celui-ci s’avère plus important que prévu, l’inflation diminuera davantage, les revenus réels des importateurs de produits de base augmenteront, et cela accroîtra la marge d’assouplissement des politiques monétaires.

Doit-on craindre une dépression mondiale ?

La dépression économique est un concept ambigu ; on peut considérer qu’il s’agit d’une récession très profonde et très longue. Nous n’en sommes certainement pas là. Bien sûr, c’est la plus grave crise financière depuis des décennies, mais une réédition de la crise des années 1930 est hautement improbable, en partie grâce aux plans de sauvetage massifs désormais en place.

Aviez-vous vu venir cette crise ?

La plupart des économistes savent que les cycles économiques ont leur vie propre, et ils s’attendaient à ce que l’extrême gonflement du crédit entre 2002 et 2007 et l’expansion économique se tassent à un moment ou à un autre. Mais il est impossible de prévoir avec précision le moment et l’intensité des récessions futures. Dans le cas présent, ni les économistes, ni les acteurs des marchés, ni même les gouvernements n’avaient prévu une crise financière de ce type et de cette ampleur. L’effondrement de la confiance et le gel du crédit après la faillite de Lehman Brothers ont constitué un choc non seulement pour le système, mais aussi pour la plupart des économistes et des acteurs du marché.

Quelles leçons peut-on en tirer ?

Il est encore tôt pour le dire, mais je vois d’ores et déjà des leçons à tirer dans quatre domaines. Premièrement, tout a commencé par une crise des prêts immobiliers dits « subprimes » aux États-Unis, qui s’est progressivement étendue à d’autres marchés et à d’autres pays du fait de défaillances des marchés combinées à des faiblesses réglementaires. Les défaillances des marchés tenaient à une mauvaise gouvernance et à une structure d’incitation des dirigeants d’entreprises financières inadaptée à l’impératif de stabilité de ces entreprises ; elles tenaient aussi à l’opacité des instruments financiers et de leurs transactions, ainsi qu’à un manque d’information du public sur les bilans des institutions financières et sur leurs opérations hors bilan.

Dans le même temps, il y a eu de nombreuses omissions et carences réglementaires. Beaucoup de pays n’avaient pas de réglementation complète et unifiée des conglomérats financiers et de leurs instruments de marché, alors même que les ratios de fonds propres et les règles comptables ont amplifié le mouvement conjoncturel d’endettement et de crédit bancaires. La faiblesse de la surveillance exercée par les agences de notation a également joué.

Les futures réformes réglementaires devront à l’évidence viser à améliorer les modèles d’affaires, la transparence, l’information et la surveillance des institutions financières. En outre, les acteurs des marchés financiers ne doivent pas s’imaginer que le renflouement est la norme, et les réformes devront donc réduire au minimum le risque d’« aléa moral » dans les comportements futurs sur les marchés financiers. Enfin, s’il est nécessaire de modifier profondément la régulation des marchés de capitaux et des marchés financiers, tant au niveau national qu’international, il faudra éviter le piège d’un excès de réglementation, car ceci peut aussi être très nocif, en entravant l’innovation financière, l’intégration des marchés et la croissance. Plus que de nouvelles réglementations, nous réclamons une meilleure régulation.

La deuxième leçon est que nous devons faire plus d’efforts pour renforcer les composantes anticycliques des politiques budgétaires, monétaires et financières, à la fois pour atténuer l’intensité des cycles futurs et pour réduire la probabilité d’une nouvelle crise mondiale.

Troisièmement, il faudra améliorer considérablement la planification d’urgence et la gestion de crise. En définitive, la crise actuelle a été gérée de façon assez aléatoire. Les gouvernements ont tardé à passer du renflouement d’urgence, ponctuel et sélectif, au sauvetage d’ensemble du système financier. Et c’est seulement très tard, après avoir privilégié l’élimination des actifs toxiques, qu’ils ont opté pour une aide globale en faveur des différents postes des bilans, en garantissant les dépôts et les prêts interbancaires, en se portant acquéreurs de créances douteuses des établissements bancaires et non bancaires et en procédant à des injections de capitaux. C’est seulement à la dernière minute qu’une meilleure démarche a été adoptée.

Enfin et surtout, nous devons repenser l’architecture financière internationale. Cela nécessite une coopération internationale sur la réforme de la régulation des marchés de capitaux et des marchés financiers, des normes comptables internationales et du traitement des transactions financières internationales. Le but est de renforcer l’intégration et la stabilité des marchés mondiaux de capitaux. Nous devons aussi revoir la façon dont les institutions financières internationales peuvent aider les pays en situation critique pour leurs besoins en capitaux et leurs paiements extérieurs, comme actuellement l’Islande, la Hongrie et l’Ukraine.

Ce ne sont là que quelques leçons parmi d’autres. L’OCDE peut jouer un rôle majeur pour les mettre en acte.

Vous venez de rejoindre l’OCDE après avoir passé plusieurs années à la banque centrale du Chili, pays candidat à l’adhésion à l’OCDE. En quoi votre expérience est-elle un plus pour ce nouveau poste ?

C’est exact, j’ai passé les 12 dernières années de ma carrière à la banque centrale du Chili et les huit années précédentes à la Banque mondiale. J’ai la double citoyenneté allemande et chilienne, mes enfants sont nés aux États-Unis, ma femme est chiliennogermano- costaricaine, j’ai vécu une partie de mon adolescence au Brésil et j’adore la France. Je me sens véritablement plus citoyen du monde que ressortissant d’un pays, ce qui donne une forte motivation pour travailler à l’OCDE. Ma vie professionnelle associe une expérience universitaire – je suis professeur titulaire à l’Université catholique du Chili et professeur associé à l’Université du Chili et je viens juste de quitter la présidence de l’Association économique chilienne – à des activités de recherche et de conseil à la Banque mondiale et à la banque centrale du Chili. J’ai aussi travaillé comme consultant auprès de 25 pays industrialisés et émergents et d’un grand nombre d’organisations internationales.

Je me suis spécialisé dans la croissance et les réformes structurelles, la macroéconomie et ses implications politiques, l’économie internationale et le développement, ainsi que les marchés financiers et les systèmes de retraite. J’ai travaillé à la fois dans et sur les économies en développement, émergentes ou industrielles. Je n’ai donc pas seulement analysé les mutations de l’économie mondiale ; je comprends les pressions que subissent les pays, riches ou pauvres.

Je n’aurais pas pu rejoindre l’OCDE à un moment plus exigeant, aussi bien pour nos pays membres que pour moi-même. Mais c’est un défi intellectuel que je suis prêt à relever.

Selon moi, les enjeux sont énormes, mais ont le mérite d’être clairs. Notre tâche primordiale est de nous employer activement à surmonter cette crise, et à faire en sorte que les plus touchés en souffrent le moins possible. Nous devons aussi faire encore davantage pour évaluer les options politiques et recommander les réformes structurelles nécessaires à une croissance plus forte et plus stable dans les pays membres, et pour améliorer le bien-être de leur population. Enfin, puisque les économies émergentes auront de plus en plus de poids dans l’économie mondiale, il nous faudra travailler à l’intégration de ces économies au niveau mondial et au resserrement de leurs liens avec nos pays membres. C’est pourquoi il faut soutenir pleinement la nouvelle orientation mondiale de l’OCDE menée par Angel Gurría.

Pour finir, je tiens à vous dire que je suis à la fois très heureux et très fier de rejoindre cette organisation exceptionnelle, avec ses équipes d’économistes et de spécialistes de très haut niveau. Nous avons tous à coeur de fournir le meilleur service possible à nos pays membres et de les aider à rétablir la bonne santé de nos économies et une solide croissance à long terme.