« Diego a perdu de son importance géostratégique »
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Directeur de recherche àl’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et président du Centre Interdisciplinaire de Recherches sur la Paix et d’Etudes Stratégiques, Alain Joxe, àMaurice pour une série de conférences, suit de prés l’évolution de la politique américaine. Il évoque ici le rôle des États- Unis dans la lutte contre le terrorisme ainsi que la multiplication des conflits. Vers un désordre mondial que la crise accentue? Notre région donne des pistes de réflexion.
Depuis 1971, on parle de l’océan Indien comme zone de paix. Or, il semblerait qu’on en soit loin… D’autant qu’à l’adoption de la résolution onusienne relative à ce concept en 2001, les principales puissances militaires présentes dans l’océan Indien, France, Royaume- Uni et surtout États- Unis, ont voté contre…
On était encore dans la guerre froide et l’affirmation d’une zone de paix a coïncidé avec la fin palpable de celle- ci. C’est une zone dans laquelle il n’y a pas plus de guerres qu’ailleurs. Il y a le Sri Lanka, mais c’est un conflit interne même s’il peut y avoir une résonance avec la question tamoule en Inde indirectement. Il y a aussi la piraterie somalienne, les troubles actuels à Madagascar. Pour autant, je ne crois pas qu’on puisse parler d’une zone d’affrontement global.
Donc oui, c’est dans une certaine mesure une zone de paix. Cela dit, l’océan Indien représente assez bien l’aspect prolifération de conflits d’apparence extrêmement locaux mais qui caractérise, peut- être, la montée d’un contexte belliqueux global. C’est cela qui nous touche plus qu’une hypothétique guerre mondiale. Ce sont des conflits non résolus qui, comme des braises d’un incendie de forêt, pourraient, si on souffle dessus, donner des incendies nouveaux.
Vous évoquez la piraterie somalienne qui a fait les gros titres de la presse internationale.
Peut- on parler du retour d’un phénoméne de banditisme économique qui parasiterait l’or ga nisation économique régionale?
C’est un phénoméne d’anciens régimes qui n’apparaît jamais en dehors de circonstances globales. La piraterie naît pour des raisons globales.
La Somalie est un pays ruiné, en totale déroute, depuis 1991. Imaginez que les Somaliens voient passer au large de leurs côtes des navires marchands, c’est- à- dire l’économie marchande mondiale tout en étant totalement exclus de ces flux.
Parce que la Somalie est un Etat sans Etat, que son économie est en pleine déliquescence.
La piraterie y serait donc le nouveau secteur économique fort?
Oui et les pirates, ou plutôt les chefs de guerre et de clans, ont trouvé des gens qui financent cette activité lucrative. Ils obtiennent aussi de l’armement pour prendre d’assaut ces énormes navires. On a, en quelque sorte, un retour du chasseur- cueilleur. C’est- à- dire qu’on assiste à un retour à l’économie de prédation.
Évidemment ce qui se passe n’est pas sans rappeler la piraterie qui sévissait dans le détroit de Malacca. Le phénoméne s’est déplacé profitant d’un contexte favorable.
On a du mal finalement à lutter efficacement contre la piraterie. Les marines étrangéres escortent parfois les navires marchands, mais le probléme reste entier, d’autant que le paiement de rançons finit parfois par régler les affaires. On parle donc de démarche collective, mais y a- t- il une nation susceptible de s’affirmer dans la lutte contre la piraterie?
Celui qui s’occupe de la question est le dominant des courants maritimes du commerce international. Si on laisse les Américains s’en occuper, ils affirmeront leur prééminence sur la question.
C’est pourquoi de nombreux acteurs s’y intéressent d’autant que c’est une route maritime majeure, avec plus au nord le canal de Suez. Les Chinois envoient aujourd’hui des flottes jusqu’à
Suez pour affirmer leur influence dans la région.
Ces jeux d’influence ont pour raison d’être les déréglements locaux qui reflétent finalement la désorganisation mondiale.
Les grandes nations cherchent donc à étendre leur influence sur l’océan Indien. Pour les Américains, la base de Diego Garcia n’est- elle pas un outil majeur pour le maintien de son influence en concurrence des ex- puissances coloniales ou des poids lourds régionaux, telle l’Inde?
Oui, dans un sens. Mais n’oublions pas que le commandement central des États- Unis c’est le Grand Moyen- Orient. C’est aux antipodes des États- Unis mais les Américains peuvent y arriver par l’ouest ou par l’est. Vous évoquez Diego Gracia, mais les États- Unis ont aussi une base géostratégique d’importance à Djibouti.
Plus largement, c’est le seul exemple d’un empire qui domine le monde entier par des dispositifs permanents qui sont des hauts commandements militaires. L’océan Indien fait partie du commandement Pacifique, donc Diego n’a pas d’importance décisionnelle. Finalement, ce qui domine, c’est la vieille vision du Pacifique comme la Méditerranée américaine. L’océan Indien est ce qu’il y a de plus loin pour les États- Unis. Ils n’y ont pas tant de présence que cela.
Vous semblez minimiser l’impor tance de Diego Garcia dans le systéme géostratégique des États- Unis.
C’est pourtant un point d’appui de premier ordre dans la logique militaire américaine de lutte contre le terrorisme…
En fait, je crois qu’on ne peut pas lutter contre le terrorisme ni avec des flottes ni avec l’aviation. Cette idée de logique militaire était au départ trés vague, je crois. Elle s’est incarnée dans quelque chose de plus précis dans la guerre d’Af gha nistan parce que Ben Laden s’y trouvait.
On sort de 2001, de l’attentat contre les deux tours et la riposte s’est géographisée en Afghanistan. Il faudrait plus parler d’une guerre mondiale contre Al Qaida que d’une guerre mondiale contre le terrorisme. Et pourtant, Al Qaida n’a pas une dimension mondiale si nette.
Parce que c’est un réseau pollinisé?
Tout à fait. Et j’irai plus loin. La guerre en Irak s’est construite sur deux mensonges stratégiques: la nucléarisation supposée de l’Irak et le fait que cet Etat soit l’allié d’Al Qaida. Quand les États- Unis se permettent d’entamer une guerre sur cette base, ça veut dire que la lutte contre le terrorisme n’était là qu’un symbole artificiel visant à légitimer une action unilatérale.
Finalement, l’Irak s’est révélé être une fabrique de terrorisme antiaméricain qui n’avait pas un impact sur le plan mondial. La lutte contre le terrorisme international n’est en fait un discours qu’on utilise à d’autres fins dans certains cas d’autant qu’il est difficile de cibler spécifiquement un réseau si éclaté géographiquement.
Et la guerre en Irak. Quel a été l’intérêt américain dans cette guerre?
La guerre d’Irak est trés importante d’autant qu’elle se finit sur un échec qui ne dit pas son nom. Ils ont voulu prouver que l’Etat irakien n’existait pas. C’était une espéce de macrostratégie simplifiée ou d’anthropologie de Disneyland. Dés le départ, il s’agissait de montrer que l’explosion intercommunautaire existait et était contrôlée par la tyrannie de Saddam Hussein. Les Amé ricains se sont imposés comme les restaurateurs de la démocratie en donnant une nouvelle structure. En fait, cela a été un projet de destruction et de reconstruction d’un Etat tri- communautaire. Qu’on le veuille ou non, l’Irak était un Etat certes dirigiste, mais qui détenait les fondements de la nation. Cela s’est vu dans le long et horrible conflit avec l’Iran. D’un point de vue historique, les Américains n’ont pas compris qu’il y avait un Etat- nation irakien construit à feu et à sang certes - pas plus que l’Etat français, qui avait donné un sens au développement économique et à la redistribution des revenus du pétrole.
L’expérimentation sociale de Bush était une erreur impériale, un crime peut- être. Les pires militaristes ne sont pas les militaires américains car ils demandaient dés le début un plan de reconstruction. C’étaient les politiques. Et si on pousse le raisonnement, entre autres, l’échec de la guerre d’Irak a aidé à la victoire d’Obama.
Ce serait étonnant que l’intérêt américain n’ait été que la simple promotion du sacro- saint idéal démocratique ! Les États- Unis se sont d’abord inté ressés au cas afghan puis, par ricochet, au - raient avancé deux mensonges pour intervenir en Irak uniquement pour sauver la démocratie?
L’idéal démocratique américain est quelque chose de vendable au peuple américain. C’est vrai que c’était le contrôle des ressources pétroliéres qui importait en premier lieu. L’Irak était capable de se servir des revenus du pétrole pour faire du développement industriel malgré le régime autoritaire de Sad dam Hus sein. Si la démocratie survit en Irak, malgré le bourbier dans lequel s’est enlisée la politique américaine, c’est qu’elle aura repris pied sur le contrôle des ressources. La restauration de la démocratie était au départ périlleuse. Robespierre ne disaitil pas qu’il « faut toujours se méfier des missionnaires armés » ?
On sent bien depuis quelques années que l’hégémonie américaine s’effrite.
Dans la région, son influence, entre autres, est concurrencée par les poids lourds régionaux, l’Inde, mais aussi la Chine. Quel poids ces nations peuventelles jouer, dans la résolution des conflits ou au moins dans le maintien de la paix?
Globalement, on ne veut pas de médiation des grandes nations. On peut trés bien imaginer par exemple que les Mauriciens aient une vocation de médiation, comme cela peut être le cas pour les petits états de la Ligue arabe ou le Liban, par exemple, une fois ses problémes réglés. Leurs expériences à l’interne peuvent servir de modéles. Pour ce qui est de la région, le jeu d’influence qui a cours échappe aux États- Unis.
L’Inde exerce sur cet océan une influence légitime alors que la Chine est davantage guidée par des intérêts régionaux, mais aussi globaux.
Il n’empêche que les Américains sont directement intervenus à plusieurs reprises dans des conflits de la région…
Le cas somalien, au début des années 1990, était un gaspillage de la part des Américains.
L’envoi de militaires a été une erreur. L’échec de l’administration Clinton relevait d’une analyse trés économiciste de la situation. Il y avait une disette qui trouve son origine dans le monopole des réserves de grains par les chefs de guerre, parce qu’il n’y avait plus de monnaie.
Cette richesse céréaliére a été thésaurisée par la force des chefs militaires. Cette analyse a amené à un raisonnement monétariste du côté américain qui s’est mis en tête de créer une classe de marchands a qui on donnerait du blé indexé sur le prix de Chicago. L’objectif était de casser le monopole des chefs de guerre. Naturellement les chefs de guerre ont fait pression sur cette classe de marchands. Et le modéle n’a pas tenu.
Les Américains sont intervenus pour rétablir la situation qui se dégradait davantage encore.
L’échec a été cuisant.
La logique va- t- en- guerre américaine, presque primaire, n’est donc plus valide aujourd’hui, alors qu’elle avait le vent en poupe depuis des décennies…
L’armée américaine, dans des revues professionnelles, fait savoir qu’il faut avoir un objectif politique et social avant même le début d’une intervention. Il y a une incapacité trés claire de remporter des victoires véritables tant qu’on reste dans cette logique militaire. Il faudrait interdire aux États- Unis d’intervenir directement, unilatéralement. Tant qu’il n’y aura pas de missions de casques bleus, ils seront considérés comme de vulgaires assassins.
Dans l’une de vos conférences à venir, vous liez la crise économique mondiale et le risque d’un conflit global. C’est surtout de la multiplication de conflits locaux que vous parlez…
En effet. On évoque la crise de 1929 et voyez ce qui s’est passé par la suite: la montée des fascismes dans les années 1930 en Allemagne et en Italie, puis la guerre de 1939- 1945. Cela ne pourra pas être la même chose, notamment en Europe qui a déjà essuyé deux grandes guerres.
Mais il y a des zones de tension qu’il faut surveiller de prés. Le conflit indo- pakistanais, par exemple, et par extension toute la région.
Imaginez que le géant chinois s’y intéresse, que les républiques d’Asie centrale soient touchées.
Simplement, on se dit que la dimension de ces conflits reste régionale…
Ce serait prendre le parti que ces conflits n’ont pas de résonance internationale. Or, les conflits locaux, par exemple, en Afrique qui ont une dimension ethnique ou tribale sont le fruit de Total, des diamantaires, etc. Je pense que les firmes transnationales sont des acteurs centraux qui construisent un jeu diplomatique particulier.
On peut penser qu’il y a des diplomaties d’États et d’entreprises qui ne recoupent pas les mêmes intérêts. Bref, les enjeux d’apparence trés locaux peuvent trés bien avoir un écho global.
Et pour notre zone océan Indien à part le cas indo- pakistanais, y a- t- il d’autres risques de conflits pouvant déborder?
L’océan Indien est une sorte de bulle dans le systéme mondial où jusqu’à présent on ne s’est pas affronté. Diego a perdu de son importance géostratégique je crois d’autant qu’on ne va pas refaire un Irak et un Afghanistan. En plus, Obama remet à l’honneur la diplomatie. Je crois que pour l’océan Indien, il ne faut pas impliquer les grandes puissances. Les médiations et la veille doivent venir de la région directement d’autant que, je le répéte, on va vers une multiplication des conflits recoupant des enjeux globaux.
Propos recueillis par Gilles RIBOUET « L’océan Indien représente bien l’aspect prolifération de conflits d’apparence locaux mais qui caractérise, peut- être, la montée d’un contexte belliqueux global(...) Ce sont des conflits non résolus qui, comme des braises d’un incendie de forêt, pourraient, si on souffle dessus, donner des incendies nouveaux. »
Depuis 1971, on parle de l’océan Indien comme zone de paix. Or, il semblerait qu’on en soit loin… D’autant qu’à l’adoption de la résolution onusienne relative à ce concept en 2001, les principales puissances militaires présentes dans l’océan Indien, France, Royaume- Uni et surtout États- Unis, ont voté contre…
On était encore dans la guerre froide et l’affirmation d’une zone de paix a coïncidé avec la fin palpable de celle- ci. C’est une zone dans laquelle il n’y a pas plus de guerres qu’ailleurs. Il y a le Sri Lanka, mais c’est un conflit interne même s’il peut y avoir une résonance avec la question tamoule en Inde indirectement. Il y a aussi la piraterie somalienne, les troubles actuels à Madagascar. Pour autant, je ne crois pas qu’on puisse parler d’une zone d’affrontement global.
Donc oui, c’est dans une certaine mesure une zone de paix. Cela dit, l’océan Indien représente assez bien l’aspect prolifération de conflits d’apparence extrêmement locaux mais qui caractérise, peut- être, la montée d’un contexte belliqueux global. C’est cela qui nous touche plus qu’une hypothétique guerre mondiale. Ce sont des conflits non résolus qui, comme des braises d’un incendie de forêt, pourraient, si on souffle dessus, donner des incendies nouveaux.
Vous évoquez la piraterie somalienne qui a fait les gros titres de la presse internationale.
Peut- on parler du retour d’un phénoméne de banditisme économique qui parasiterait l’or ga nisation économique régionale?
C’est un phénoméne d’anciens régimes qui n’apparaît jamais en dehors de circonstances globales. La piraterie naît pour des raisons globales.
La Somalie est un pays ruiné, en totale déroute, depuis 1991. Imaginez que les Somaliens voient passer au large de leurs côtes des navires marchands, c’est- à- dire l’économie marchande mondiale tout en étant totalement exclus de ces flux.
Parce que la Somalie est un Etat sans Etat, que son économie est en pleine déliquescence.
La piraterie y serait donc le nouveau secteur économique fort?
Oui et les pirates, ou plutôt les chefs de guerre et de clans, ont trouvé des gens qui financent cette activité lucrative. Ils obtiennent aussi de l’armement pour prendre d’assaut ces énormes navires. On a, en quelque sorte, un retour du chasseur- cueilleur. C’est- à- dire qu’on assiste à un retour à l’économie de prédation.
Évidemment ce qui se passe n’est pas sans rappeler la piraterie qui sévissait dans le détroit de Malacca. Le phénoméne s’est déplacé profitant d’un contexte favorable.
On a du mal finalement à lutter efficacement contre la piraterie. Les marines étrangéres escortent parfois les navires marchands, mais le probléme reste entier, d’autant que le paiement de rançons finit parfois par régler les affaires. On parle donc de démarche collective, mais y a- t- il une nation susceptible de s’affirmer dans la lutte contre la piraterie?
Celui qui s’occupe de la question est le dominant des courants maritimes du commerce international. Si on laisse les Américains s’en occuper, ils affirmeront leur prééminence sur la question.
C’est pourquoi de nombreux acteurs s’y intéressent d’autant que c’est une route maritime majeure, avec plus au nord le canal de Suez. Les Chinois envoient aujourd’hui des flottes jusqu’à
Suez pour affirmer leur influence dans la région.
Ces jeux d’influence ont pour raison d’être les déréglements locaux qui reflétent finalement la désorganisation mondiale.
Les grandes nations cherchent donc à étendre leur influence sur l’océan Indien. Pour les Américains, la base de Diego Garcia n’est- elle pas un outil majeur pour le maintien de son influence en concurrence des ex- puissances coloniales ou des poids lourds régionaux, telle l’Inde?
Oui, dans un sens. Mais n’oublions pas que le commandement central des États- Unis c’est le Grand Moyen- Orient. C’est aux antipodes des États- Unis mais les Américains peuvent y arriver par l’ouest ou par l’est. Vous évoquez Diego Gracia, mais les États- Unis ont aussi une base géostratégique d’importance à Djibouti.
Plus largement, c’est le seul exemple d’un empire qui domine le monde entier par des dispositifs permanents qui sont des hauts commandements militaires. L’océan Indien fait partie du commandement Pacifique, donc Diego n’a pas d’importance décisionnelle. Finalement, ce qui domine, c’est la vieille vision du Pacifique comme la Méditerranée américaine. L’océan Indien est ce qu’il y a de plus loin pour les États- Unis. Ils n’y ont pas tant de présence que cela.
Vous semblez minimiser l’impor tance de Diego Garcia dans le systéme géostratégique des États- Unis.
C’est pourtant un point d’appui de premier ordre dans la logique militaire américaine de lutte contre le terrorisme…
En fait, je crois qu’on ne peut pas lutter contre le terrorisme ni avec des flottes ni avec l’aviation. Cette idée de logique militaire était au départ trés vague, je crois. Elle s’est incarnée dans quelque chose de plus précis dans la guerre d’Af gha nistan parce que Ben Laden s’y trouvait.
On sort de 2001, de l’attentat contre les deux tours et la riposte s’est géographisée en Afghanistan. Il faudrait plus parler d’une guerre mondiale contre Al Qaida que d’une guerre mondiale contre le terrorisme. Et pourtant, Al Qaida n’a pas une dimension mondiale si nette.
Parce que c’est un réseau pollinisé?
Tout à fait. Et j’irai plus loin. La guerre en Irak s’est construite sur deux mensonges stratégiques: la nucléarisation supposée de l’Irak et le fait que cet Etat soit l’allié d’Al Qaida. Quand les États- Unis se permettent d’entamer une guerre sur cette base, ça veut dire que la lutte contre le terrorisme n’était là qu’un symbole artificiel visant à légitimer une action unilatérale.
Finalement, l’Irak s’est révélé être une fabrique de terrorisme antiaméricain qui n’avait pas un impact sur le plan mondial. La lutte contre le terrorisme international n’est en fait un discours qu’on utilise à d’autres fins dans certains cas d’autant qu’il est difficile de cibler spécifiquement un réseau si éclaté géographiquement.
Et la guerre en Irak. Quel a été l’intérêt américain dans cette guerre?
La guerre d’Irak est trés importante d’autant qu’elle se finit sur un échec qui ne dit pas son nom. Ils ont voulu prouver que l’Etat irakien n’existait pas. C’était une espéce de macrostratégie simplifiée ou d’anthropologie de Disneyland. Dés le départ, il s’agissait de montrer que l’explosion intercommunautaire existait et était contrôlée par la tyrannie de Saddam Hussein. Les Amé ricains se sont imposés comme les restaurateurs de la démocratie en donnant une nouvelle structure. En fait, cela a été un projet de destruction et de reconstruction d’un Etat tri- communautaire. Qu’on le veuille ou non, l’Irak était un Etat certes dirigiste, mais qui détenait les fondements de la nation. Cela s’est vu dans le long et horrible conflit avec l’Iran. D’un point de vue historique, les Américains n’ont pas compris qu’il y avait un Etat- nation irakien construit à feu et à sang certes - pas plus que l’Etat français, qui avait donné un sens au développement économique et à la redistribution des revenus du pétrole.
L’expérimentation sociale de Bush était une erreur impériale, un crime peut- être. Les pires militaristes ne sont pas les militaires américains car ils demandaient dés le début un plan de reconstruction. C’étaient les politiques. Et si on pousse le raisonnement, entre autres, l’échec de la guerre d’Irak a aidé à la victoire d’Obama.
Ce serait étonnant que l’intérêt américain n’ait été que la simple promotion du sacro- saint idéal démocratique ! Les États- Unis se sont d’abord inté ressés au cas afghan puis, par ricochet, au - raient avancé deux mensonges pour intervenir en Irak uniquement pour sauver la démocratie?
L’idéal démocratique américain est quelque chose de vendable au peuple américain. C’est vrai que c’était le contrôle des ressources pétroliéres qui importait en premier lieu. L’Irak était capable de se servir des revenus du pétrole pour faire du développement industriel malgré le régime autoritaire de Sad dam Hus sein. Si la démocratie survit en Irak, malgré le bourbier dans lequel s’est enlisée la politique américaine, c’est qu’elle aura repris pied sur le contrôle des ressources. La restauration de la démocratie était au départ périlleuse. Robespierre ne disaitil pas qu’il « faut toujours se méfier des missionnaires armés » ?
On sent bien depuis quelques années que l’hégémonie américaine s’effrite.
Dans la région, son influence, entre autres, est concurrencée par les poids lourds régionaux, l’Inde, mais aussi la Chine. Quel poids ces nations peuventelles jouer, dans la résolution des conflits ou au moins dans le maintien de la paix?
Globalement, on ne veut pas de médiation des grandes nations. On peut trés bien imaginer par exemple que les Mauriciens aient une vocation de médiation, comme cela peut être le cas pour les petits états de la Ligue arabe ou le Liban, par exemple, une fois ses problémes réglés. Leurs expériences à l’interne peuvent servir de modéles. Pour ce qui est de la région, le jeu d’influence qui a cours échappe aux États- Unis.
L’Inde exerce sur cet océan une influence légitime alors que la Chine est davantage guidée par des intérêts régionaux, mais aussi globaux.
Il n’empêche que les Américains sont directement intervenus à plusieurs reprises dans des conflits de la région…
Le cas somalien, au début des années 1990, était un gaspillage de la part des Américains.
L’envoi de militaires a été une erreur. L’échec de l’administration Clinton relevait d’une analyse trés économiciste de la situation. Il y avait une disette qui trouve son origine dans le monopole des réserves de grains par les chefs de guerre, parce qu’il n’y avait plus de monnaie.
Cette richesse céréaliére a été thésaurisée par la force des chefs militaires. Cette analyse a amené à un raisonnement monétariste du côté américain qui s’est mis en tête de créer une classe de marchands a qui on donnerait du blé indexé sur le prix de Chicago. L’objectif était de casser le monopole des chefs de guerre. Naturellement les chefs de guerre ont fait pression sur cette classe de marchands. Et le modéle n’a pas tenu.
Les Américains sont intervenus pour rétablir la situation qui se dégradait davantage encore.
L’échec a été cuisant.
La logique va- t- en- guerre américaine, presque primaire, n’est donc plus valide aujourd’hui, alors qu’elle avait le vent en poupe depuis des décennies…
L’armée américaine, dans des revues professionnelles, fait savoir qu’il faut avoir un objectif politique et social avant même le début d’une intervention. Il y a une incapacité trés claire de remporter des victoires véritables tant qu’on reste dans cette logique militaire. Il faudrait interdire aux États- Unis d’intervenir directement, unilatéralement. Tant qu’il n’y aura pas de missions de casques bleus, ils seront considérés comme de vulgaires assassins.
Dans l’une de vos conférences à venir, vous liez la crise économique mondiale et le risque d’un conflit global. C’est surtout de la multiplication de conflits locaux que vous parlez…
En effet. On évoque la crise de 1929 et voyez ce qui s’est passé par la suite: la montée des fascismes dans les années 1930 en Allemagne et en Italie, puis la guerre de 1939- 1945. Cela ne pourra pas être la même chose, notamment en Europe qui a déjà essuyé deux grandes guerres.
Mais il y a des zones de tension qu’il faut surveiller de prés. Le conflit indo- pakistanais, par exemple, et par extension toute la région.
Imaginez que le géant chinois s’y intéresse, que les républiques d’Asie centrale soient touchées.
Simplement, on se dit que la dimension de ces conflits reste régionale…
Ce serait prendre le parti que ces conflits n’ont pas de résonance internationale. Or, les conflits locaux, par exemple, en Afrique qui ont une dimension ethnique ou tribale sont le fruit de Total, des diamantaires, etc. Je pense que les firmes transnationales sont des acteurs centraux qui construisent un jeu diplomatique particulier.
On peut penser qu’il y a des diplomaties d’États et d’entreprises qui ne recoupent pas les mêmes intérêts. Bref, les enjeux d’apparence trés locaux peuvent trés bien avoir un écho global.
Et pour notre zone océan Indien à part le cas indo- pakistanais, y a- t- il d’autres risques de conflits pouvant déborder?
L’océan Indien est une sorte de bulle dans le systéme mondial où jusqu’à présent on ne s’est pas affronté. Diego a perdu de son importance géostratégique je crois d’autant qu’on ne va pas refaire un Irak et un Afghanistan. En plus, Obama remet à l’honneur la diplomatie. Je crois que pour l’océan Indien, il ne faut pas impliquer les grandes puissances. Les médiations et la veille doivent venir de la région directement d’autant que, je le répéte, on va vers une multiplication des conflits recoupant des enjeux globaux.
Propos recueillis par Gilles RIBOUET « L’océan Indien représente bien l’aspect prolifération de conflits d’apparence locaux mais qui caractérise, peut- être, la montée d’un contexte belliqueux global(...) Ce sont des conflits non résolus qui, comme des braises d’un incendie de forêt, pourraient, si on souffle dessus, donner des incendies nouveaux. »