Les extraits qui vont suivre sont issus des propos de Jean-Marc Jancovici lors de sa conférence du 12 janvier à la Bibliothèque nationale de France, dans le cadre d'un cycle de conférences « Planète bleue » qui se poursuit jusqu'en juin. Pour aller plus en profondeur, consultez le site de l'auteur, très didactique : www.manicore.com
Introduction : de la dureté des lois physiques. « Les lois économiques sont moins valides que les lois physiques. Je suis un comptable du carbone : mon rôle est de confronter les organisations à la contrainte carbone (hydrocarbures en quantité finie, évitement du changement climatique). 99% des plans économiques ou sociaux qu'on fait pour l'avenir ne passent hélas pas cette contrainte. Le système bancaire ne tient que parce que « demain sera mieux qu'aujourd'hui », mais les limites physiques sont bien là. La terre contient des stocks non renouvelables : les minerais, les hydrocarbures... Elle contient aussi des stocks renouvelables : les êtres vivants, l'eau... mais ces stocks peuvent néanmoins baisser si nous les consommons trop vite. La pollution, à trop forte dose, dégrade aussi les stocks. »
Energie. « L'énergie est l'indicateur synthétique de la pression de l'Homme sur son environnement. C'est le témoin de la modification du monde : consommer de l'énergie, c'est par définition modifier son environnement.»
Prix du pétrole. « Le prix du pétrole est le prix directeur de l'énergie. Or entre 1860 et aujourd'hui, hors crises énergétiques, son prix est resté stable autour de 20 dollars le baril. En même temps, le pouvoir d'achat des ménages a été multiplié par dix. Cette baisse du prix réel de l'énergie a permis que les individus aient pu s'offrir de plus en plus de biens et de services avec un temps de travail par ailleurs en diminution. Durant les trente glorieuses, la consommation d'énergie a été multipliée par six, alors que 85% de notre énergie vient de stocks finis.
Mais un prix stable du pétrole à 20 dollars le baril dans un contexte de croissance économique ne durera pas éternellement : la ressource s'épuise, et son prix va devenir volatil. On compte mille milliards de tonnes de pétrole extractible sur la planète, mais ce pétrole ne sera pas produit en quantités croissantes ou constantes à l'avenir : nous allons arriver (ou nous sommes déjà arrivés) à un maximum de production, qui va durer « un certain temps » (5 à 25 ans selon les estimations) puis la production va décliner. La production de la mer du Nord diminue déjà de 6 à 10% par an.
Si nous ne quittons pas volontairement le pétrole, c'est lui qui va nous quitter, sous forme de rationnement ou de hausse des prix. Il y a 36 ans, en 1972, le club de Rome avait déjà indiqué que le vingt-et-unième siècle serait le siècle de toutes les ruptures, et ses membres considéraient que la croissance économique perpétuelle ne durerait en fait pas plus de quelques décennies à un siècle. Au moment du contre-choc (1985), les dirigeants politiques auraient dû laisser le prix de l'énergie à la consommation à des niveaux élevés.»
C02. « Un point commun de tous les hydrocarbures : quand on brûle du carbone, on émet du C02. Si nous cherchons à brûler tout le pétrole, le gaz et le charbon disponibles, même en quantités décroissantes à partir de 2015 (pour le pétrole), 2020 (pour le gaz), et 2040 à 2050 (pour le charbon), le climat planétaire se réchauffera de 5 degrés en un siècle. Or 5 degrés, c'est la différence entre l'ère glaciaire et aujourd'hui. Cela correspond à une modification massive de notre environnement. C'est l'océan qui donne le « la » à l'échelle du millier d'années : à partir du moment où l'équilibre des océans se rompt, le climat se modifie pendant très longtemps »
L'équation imparable. « Nous sommes pris en tenaille entre la baisse des réserves d'hydrocarbures et la hausse des températures dues au réchauffement climatique, qui arrive des décennies après les émissions. Le calcul est simple. Notre population est supposée croître de 50% d'ici 2050. Le PIB par personne est supposé croître de 2% par an dans le monde. Pour satisfaire à la contrainte carbone dans un tel contexte, qui demande une division par des deux émissions mondiales, nous devrions diviser par 10 le contenu en carbone de l'économie. Ce dernier n'a baissé « que » de 40% en 35 ans. Si nous n'y arrivons pas, comme cette division par deux des émissions mondiales de CO2 finira par arriver à cause des ressources limitées en hydrocarbures, la régulation se fera sur la population ou le PIB. Nos « habitudes de consommation » actuelles ne vont pas durer très longtemps, même si nous ne le voulons pas. »
« L'énergie propre, c'est une vue de l'esprit ». « En matière d'énergie, tout dépend de la quantité : c'est toujours la dose qui fait le poison. Sur terre, l'électricité est produite à base de charbon pour 40%, de gaz pour 20%, et de pétrole pour 5%. La voiture électrique est donc indirectement émettrice de CO2 dans l'essentiel des pays du monde, parfois plus que la voiture à essence. La civilisation internet moins polluante, ce n'est pas vrai. Un euro d'Internet est plus riche en carbone d'un euro de bouquins. Quand on regarde ce qui se passe réellement, nombre d'idées reçues volent en éclat. »
Aménagement du territoire. « La biomasse - le bois essentiellement - et l'hydroélectricité sont les deux plus grandes sources mondiales d'énergie renouvelable. Si un pays compte beaucoup de montagnes et de forêts par habitant, il dispose d'une contribution significative des énergies renouvelables. Le potentiel hydroélectrique mondial représente 3 à 4 fois l'exploitation actuelle qu'on en fait. L'éolien et le solaire ne contribueront significativement à notre mix énergétique que dans 30 à 40 ans. La priorité à partir de maintenant est donc de faire des économies d'énergie : installer des éoliennes ne va en rien éviter une crise économique massive.
Autre composante de l'aménagement du territoire : l'urbanisme industriel, avec par exemple l'organisation de l'industrie. Pour caricaturer le système, nous avons créé des unités de 1000 personnes situées à un point A qui ont pour fonction de serrer la vis gauche, puis à 3000 km de là d'autres unités ont pour mission de serrer la vis droite, avec un flux tendu entre les deux. C'est à cela que ressemble l'organisation industrielle aujourd'hui, et ce modèle ne tient que si l'énergie ne vaut rien, comme aujourd'hui. Nous avons 10 ans pour changer l'essentiel de cela. Par ailleurs, l'isolation des bâtiments et la modification de l'urbanisme nécessitent de former des centaines de milliers de personnes très vite. »
Politique globale. « Changer le PIB comme indicateur macro-économique de référence (ce qui doit être fait) pose un problème majeur de mise en œuvre : cela concerne des centaines de milliers de personnes dans le monde, de ceux qui tiennent les comptes des 185 pays à tous ceux qui ont basé des politiques publiques sur cet indicateur.
Il est intéressant de constater que les mêmes propositions émergent au même moment dans divers pays, portées par des personnes qui pourtant n'ont pas travaillé ensemble, voire ne se connaissent pas. C'est par exemple le cas de la taxe carbone, que même le patron d'Exxon a soutenue récemment ! En France, le Grenelle a eu une conséquence intéressante : il a créé un contexte dans lequel des cadres d'entreprise osent désormais se poser publiquement des questions ou faire des propositions un peu osées à leur patron, alors qu'avant cela relevait uniquement de conversations « en privé ». »
Prise de conscience. « Accepter la hausse du prix du C02, et faire comprendre aux acteurs économiques qu'ils sont entrain de se tirer une balle dans le pied est une urgence. Les grandes entreprises ne sont pas les organismes les plus difficiles à convaincre. Saint Gobain a participé au Grenelle 2 et permis des avancées sur le thermique parce qu'il a compris que c'était dans son intérêt. Les meilleurs avocats de Reach sont à l'UIC. Total est passionné par ce sujet. Le plus rétif est finalement... le consommateur final. Les activités qui en sont proches, comme la grande distribution ou les banques, sont les moins conscientes des enjeux. »
Sur le nucléaire. « Le nucléaire, aujourd'hui, c'est 15% de l'électricité mondiale, ou 5% de l'énergie primaire totale. On compte aujourd'hui 450 réacteurs dans le monde. Certes, l'effort nécessaire dans les décennies qui viennent va être de réduire la demande. Reste que le nucléaire est une solution acceptable pour produire de l'électricité. La quatrième génération de réacteurs nucléaires arrivera en 2040, de même que l'éolien de masse, ou le solaire à concentration. Pour être très provocateur, à tout prendre je préfère courir le risque que 2 réacteurs nucléaires fassent l'objet d'un accident majeur plutôt que de nous voir nous acheminer vers des guerres pour les ressources restantes qui seront, elles, menées avec des armes nucléaires. »
Plus dure sera la chute. « Le grand public pense que le monde de demain va ressembler à celui d'aujourd'hui. Or nous allons trouver à l'avenir des contraintes dont nous pensions nous être affranchis pour l'éternité. L'idée de l'énergie abondante et sans limite est un mythe dangereux. Il y aura des économies d'énergie. Mieux vaut les choisir que de se les voir imposer par les limites naturelles. A trop vouloir jouer les aveugles, on est en train de jouer avec la paix. Dans toutes les grandes ruptures économiques et sociales, il existe des risques de régimes totalitaires. Cette affaire a toutes les chances de mal se terminer politiquement. »