jeudi 23 octobre 2008

Qui osera reprocher à l'Afrique de protéger son agriculture?

Christine von Garnier, secrétaire exécutive à Europe Foi et Justice, décrit les débuts d'organisation des Etats africains pour se protéger des importations subventionnées.

Christine von Garnier / Le Temps / Jeudi 23 octobre 2008

La nourriture n'est pas une simple marchandise qui sert à enrichir en milliards de dollars les marchands de céréales tel Cargill ou les firmes agroalimentaires tel Monsanto. Elle est un droit fondamental. L'article 11 du Pacte international de l'ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) le précise clairement: «Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim, adopteront individuellement ou au moyen de la communauté internationale, les mesures nécessaires.» Selon l'ONU, l'Afrique doit mieux planifier son agriculture et développer ses infrastructures. C'est ce qu'ont fait tous les pays du monde qui ont réussi leur développement: Etats-Unis, Europe, Japon, et maintenant les pays émergents, par des subventions considérables à l'agriculture et des taxes à l'importation. L'Organe de règlement des différends de l'OMC a condamné les Etats-Unis le 2 juin pour ses diverses subventions aux producteurs de coton, qui affectent les prix mondiaux et pénalisent les producteurs africains. Mais les Etats-Unis continuent d'ignorer les règles du commerce mondial et avec la nouvelle loi agricole (Farm Bill), George Bush a encore augmenté le soutien à l'agriculture.

A bon droit, les Etats émergents se rebiffent, notamment l'Inde à l'OMC, et certains Etats africains contre les accords avec l'UE. L'Inde est un des pays qui ont fait capoter les négociations du cycle de Doha sur l'agriculture à l'OMC en juillet dernier. Elle a exigé l'application d'un mécanisme de sauvegarde spécial (MSS) pour taxer, si nécessaire, les importations agricoles à bas prix qui risqueraient de ruiner ses paysans dont des centaines se sont déjà suicidés. L'Inde a fait jouer là la souveraineté alimentaire comme un principe politique fort. Mais les Etats-Unis s'y sont opposés farouchement, alors que l'agriculture reste la principale source de revenu de 2,5 milliards de personnes dans le monde!

De nombreux pays africains adoptent enfin la même attitude et s'unissent en régions pour mieux défendre ensemble leurs intérêts économiques, notamment agricoles, face aux revendications de l'UE et d'autres accords bilatéraux. C'est déjà le cas de la Communauté de développement des Etats de l'Afrique australe, riche de l'expérience sud-africaine. C'est maintenant le tour de l'Afrique orientale qui vient de créer un marché commun lors d'un Sommet début octobre en Ouganda: «Les négociateurs sont convenus des principes fondamentaux du marché commun, a affirmé Julien Onen, vice-secrétaire général de l'EAC (Communauté de l'Afrique de l'Est: Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi, Kenya): la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et le droit de résidence.»

Ce projet devrait être opérationnel dès 2010. Déjà réunis à Kigali à l'occasion du 4e séminaire interparlementaire, les députés de l'Afrique de l'Est ont rejeté les Accords de partenariats économiques (APE) proposés par l'UE et ont recommandé à leurs gouvernements respectifs de ne pas les signer. Ils ont déclaré que de tels accords comportent trop de risques pour les économies africaines fragiles. Un membre ougandais a même déclaré que c'était une nouvelle forme de colonialisme.

L'Ouganda pratique déjà un protectionnisme intelligent grâce au docteur Gilbert Bukenya, avocat de l'autosuffisance alimentaire. Lui et ses amis ont fait pression avec succès sur leur gouvernement pour une taxe de 75% sur l'importation de riz, ce qui a favorisé la production locale. Un succès qui, s'il était appliqué ailleurs, pourrait faire économiser deux milliards de dollars en riz importé à l'Afrique subsaharienne.

Pourquoi l'Afrique ne pourrait-elle pas mieux se protéger comme l'ont fait les pays asiatiques? En tout cas, c'est ce que prévoit aussi la CEDEAO (Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest) qui veut elle aussi former un marché commun et notamment renforcer une zone agricole commune (ECOWAP). Ceci pour mieux pouvoir négocier avec l'UE en définissant des droits de douane communs (TEC) et en protégeant son agriculture par des taxes à l'importation variables. Ces Etats ne veulent pas condamner leurs populations à la misère, à la faim, aux violences urbaines et finalement à l'émigration de leurs jeunes.

La faim dans le monde a régressé partout sauf en Afrique où elle serait en progression (273 millions souffriront de la faim en 2020). Le président zambien de la Fédération internationale des producteurs agricoles, Ajay Vashee, a déclaré: «Les pays africains ont envers leurs populations le devoir de défier ces prévisions de progression de la faim sur le continent. Je sais que nous avons les terres et les agriculteurs voulus pour renverser cette situation, mais nos gouvernements doivent d'abord faire de la sécurité alimentaire une priorité et consacrer 10% de leur budget à l'agriculture, comme convenu à Maputo.»Il est temps de les soutenir par des accords moins coloniaux, plus équitables et plus axés sur leurs indépendances économiques, puisque notre propre croissance dépend en grande partie des pays émergents et de nombreux pays du Sud ayant atteint un bon niveau économique.