dimanche 12 octobre 2008

Madagascar : lorsque le nickel fait la loi

CLICANOO.COM | Publié le 12 octobre 2008

A Moramanga, une énorme balafre entaille la forêt primaire. Malgré la biodiversité unique de cette région de Madagascar, la plus grande mine de nickel au monde et un gigantesque pipeline sont en construction, avec un impact irréversible sur l’environnement de l’île.

A près de quatre heures de marche d’Andasibe (100 km à l’est d’Antananarivo), bulldozers et ouvriers sont à pied d’oeuvre sur le site du pipeline, laissant derrière eux une entaille de 20 mètres de large.

Plus bas, la rivière est rouge, polluée par le chantier, situé dans la zone humide d’importance mondiale de Torotorofotsy. A perte de vue, des forêts primaire et secondaire, des montagnes et des torrents. Parfois, les cris surprenants de l’Indri, le plus grand des lémuriens, troublent la quiétude.

Madagascar, joyau de la biodiversité mondiale, abrite bon nombre d’espèces uniques : environ 98% des mammifères terrestres, 92% des reptiles et amphibiens et 80% de la flore malgaches sont endémiques.

Ambatovy, le site de la mine, “est en plein coeur de la forêt primaire, pas loin de la future aire protégée décidée par le gouvernement”, explique à l’AFP Léon M. Rajaobelina, vice-président pour Madagascar du groupe américain Conservation International.

Pourtant, c’est ici que l’Etat a autorisé en 2006, via un permis environnemental, la construction de la plus grande mine de nickel au monde par le Canadien Sherritt, pour un investissement record dans ce pays très pauvre d’environ 4 milliards de dollars.

C’est actuellement l’un des cinq plus gros projets miniers au monde. La mine, construite à Moramanga (20 km d’Andasibe), exploitera aussi du cobalt et du sulfate d’ammonium à partir de 2010 et pendant 27 ans.

De 1.300 à 1.700 hectares de forêt primaire abritant au moins 1.378 variétés de fleurs seront sacrifiés pour le projet. Des villageois ont aussi été déplacés.

Un pipeline de 220 km de long va acheminer la “pulpe” jusqu’au port de Tamatave, où elle sera raffinée pour extraire nickel et cobalt.

Selon l’étude d’impact menée avant l’agrément environnemental, 47 espèces de fleurs n’existent mondialement que dans cette région. “Ces formations végétales d’Ambatovy étaient considérées comme les plus menacées” des forêts humides malgaches, explique Rainer Dolch, de l’association malgache Mitsinjo, gérant le site de Torotorofotsy. Or, déplore-t-il, “on constate un manque de données scientifiques et de suivi de l’impact sur l’environnement du projet”.

La région compte plus de 100 espèces de grenouilles - comme la grenouille dorée dont c’est l’unique habitat - et au moins 14 de lémuriens. Mitsinjo a de “fortes présomptions” de la présence sur le tracé du pipeline de “Prolemur simus” mangeurs de bambou, le lémurien le plus menacé de l’île. “La préservation des restes de forêt primaire impose des précautions et une surveillance draconiennes”, renchérit l’Observatoire malgache de la vie publique (Sefafi).

Ces atteintes à l’environnement menacent également les fortes potentialités touristiques de la région. Mais, selon le directeur général des Mines malgaches, Gérard Rakototafika, l’Etat “a trouvé un juste milieu entre exploitation des grands projets miniers et préservation de la biodiversité”.

Faisant valoir que la dégradation de l’environnement s’accélère avec la pression démographique, il assure à l’AFP que face “à l’ampleur de la déforestation, on a plus de chance de conserver grâce à ces programmes miniers”.

Sherritt, qui n’a pas souhaité répondre aux questions de l’AFP, affirme sur son site internet s’être engagé à “si possible générer un impact positif sur l’environnement” et à “mettre en oeuvre un plan de gestion de la biodiversité qui ne devrait générer aucune perte nette de cette biodiversité”.