mardi 9 septembre 2008

Les marchés ultramarins dans l'incertitude

Par Pelagie Terly, l'AGEFI, le 20/06/2008

Cinq ans après son entrée en vigueur, le dispositif fiscal Girardin devrait être remanié, l’offre immobilière en outre-mer ne répondant pas à la demande Longtemps dopée par la défiscalisation, La Réunion est particulièrement touchée par cette réforme dont le but est de réorienter la construction vers des logements sociaux.

Participation à la hausse des prix immobiliers, détournement des entreprises de construction du logement social vers des biens plus haut de gamme, inadaptation à la demande de l’offre de logements sont autant de reproches formulés à l’encontre du dispositif de défiscalisation en outre-mer. A tel point que la donne devrait bientôt changer. En effet, un projet de loi de programme pour l’outre-mer qui devrait être présenté au Parlement à l’automne prévoit de remettre en cause le cadre fiscal du Girardin afin de le recentrer sur le logement social (L’Agefi Actifs n°342, p. 6). Dans un rapport publié en 2006, le sénateur Henri Torre avait dénoncé les effets pervers de la défiscalisation en outre-mer. Il dresse aujourd’hui le bilan de ses préconisations en la matière et constate que le dispositif actuel se révèle insatisfaisant.

Facteurs de hausse des prix. Contrairement à la métropole, qui bénéficie de différentes sources d’informations sur le marché immobilier, peu de données chiffrées existent sur le marché ultramarin. Toutefois, à l’instar de la métropole, les prix ont été tirés vers le haut ces dernières années. En cause, notamment, la rareté du foncier, les difficultés de déplacement sur certaines îles entraînant la concentration de la demande de logements et, bien sûr, l’avantage fiscal.

« Outre la tension sur le foncier dans les DOM-TOM, les matériaux de construction sont plus chers en raison des coûts d’importation et du manque de concurrence, sans oublier qu’il existe des charges liées au respect des normes antisismiques et anticycloniques », indique Pierre-Olivier Thibault, directeur général du groupe Alain Crenn.

De plus, l’éloignement des biens dans lesquels investissent majoritairement des métropolitains a incité des promoteurs peu scrupuleux à faire monter les prix.

L’exemple de La Réunion. La Réunion est le marché ultramarin qui s’est le plus développé en matière de programmes immobiliers de défiscalisation. « Initialement, La Réunion était le marché immobilier le plus sous-exploité et offrait donc des perspectives intéressantes. Certains investisseurs ont d’ailleurs réalisé d’importantes plus-values, remarque Benjamin Nicaise, président de Cerenicimo. Désormais, le marché réunionnais est plus sécuritaire et les prix plus élevés. » Il faut compter entre 3.000 et 3.500 euros/m2.

David Hoareau, notaire à Saint-Denis, remarque que « les lois de défiscalisation successives ont engendré une inflation du prix du foncier, avec bien entendu une répercussion sur le prix des appartements neufs. Aujourd’hui, les prix se stabilisent, les promoteurs sont plus prudents, notamment en raison des incertitudes actuelles sur les conditions et même la pérennité de la défiscalisation ».

Cette hausse de prix est d’autant plus préoccupante que le rapport du sénateur fait état d’une vacance sur les logements de petite taille. Pour certains, « le nombre de logements vacants paraît faible et reste marginal ». Cette situation de vacance peut notamment s’expliquer par des loyers demandés supérieurs au marché pour correspondre au rendement locatif promis par certains commercialisateurs. Par ailleurs, quel que soit le territoire, un autre travers de la défiscalisation consiste, pour quelques promoteurs, à mettre sur le marché davantage de petits logements plus facilement commercialisables à un montant moins élevé mais en discordance avec la demande. Certaines communes souffrent aujourd’hui d’une suroffre de logements.
Remaniement de la loi. Au-delà de leurs spécificités, les différents marchés ultramarins se rejoignent sur l’insuffisance de logements sociaux. Pour cette raison, une loi devrait remanier le dispositif Girardin. Elle supprimerait l’avantage fiscal lors d’un investissement locatif dans le secteur libre et lors de l’accession à la propriété, excepté pour les primo-accédants. Quant au dispositif sur le secteur intermédiaire, un temps supprimé, il serait finalement maintenu.

« La réorientation de l’investissement vers le logement social est nécessaire. Mais elle ne doit pas conduire à la suppression de l’avantage fiscal concernant le logement intermédiaire, se soucie un promoteur. Si, jusqu'à fin 2009, on peut s’attendre à une montée en régime de la production de logements sociaux et à une progression de l’activité sur le secteur libre et intermédiaire, au-delà de cette date, l’activité pourrait fortement chuter. »

Toutefois, le dispositif intermédiaire serait revu. En effet, le rapport souligne qu’il semble devenu inopérant, l’essentiel de la demande de logements se situant sous le plafond de loyer de 12,08 euros par mois et par m2. « Ce n’est qu’à partir d’un loyer supérieur à 750 euros que nous conseillons d’investir en libre pour ne pas être contraint par les plafonds de ressources », précise Benjamin Nicaise. De plus, face aux disparités des marchés, beaucoup préconisent un zonage de l’outre-mer, à l’image de la métropole (lire l'encadré). « Il ne faut pas casser la loi de défiscalisation mais l’adapter territoire par territoire », revendique un professionnel.

Avis divergents sur le logement social. En outre, la loi créerait un nouvel avantage fiscal pour l’investissement dans le logement social. « Le logement social est en panne dans les DOM en raison de l’absence de politique publique sur le foncier, souligne Eric Wuillai, directeur général de CBO Territoria, promoteur à La Réunion. Pour construire du logement social, le terrain doit être acheté à un prix inférieur au marché, sauf à bénéficier d’une subvention de l’Etat. » Le nouveau dispositif recourrait au mécanisme du Girardin industriel (lire l'encadré). Cette solution de portage permettrait à l’investisseur d’acquérir des parts d’une société qui achèterait ou construirait des logements neufs locatifs, loués ensuite à un organisme HLM qui les rachèterait au terme du délai de cinq ans. L’avantage fiscal fixé serait rétrocédé en partie à l’organisme de gestion des logements.

Les avis divergent concernant cette solution de portage. « Pour ma part, je n’ai pas trop d’inquiétudes concernant le montage proposé aux investisseurs particuliers qui ne portent pas ainsi le risque de la gestion locative, poursuit Eric Wuillai. De plus, cette solution a déjà été mise en place ». « L’obligation de rachat va sécuriser l’investissement qui sera réalisé dans un but financier et non pas dans l’optique d’une constitution de patrimoine », note Benjamin Nicaise.

Mais certains ne croient pas en la solution proposée. « Le cadre permettant le financement de logement social existe d’ores et déjà grâce au Girardin à l’IS. Dès lors, pourquoi faire intervenir des milliers de particuliers, ce qui engendrerait des coûts supérieurs, alors que des entreprises disposent déjà des outils nécessaires ? Par ailleurs, cette solution risquerait de créer un effet d’éviction au détriment des investissements des PME de l’outre-mer », s’étonne Laurent Ghelfi, président de Starinvest. En outre, à côté de cette réforme devrait s’ajouter le plafonnement de la niche fiscale qui pourrait encore réduire le nombre d’investisseurs en outre-mer. Le chantier ne fait que commencer.