«Il n’existe pas de politique d’étiquetage pour les produits OGM à Maurice»
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INTERVIEW : PROFESSEUR AMEENAH GURIB-FAKIM, CHAIRE DE CHIMIE ORGANIQUE À L’UNIVERSITÉ DE MAURICE
Cette experte en plantes nous parle de la richesse de la biodiversité de Maurice et de la nécessité de mettre en œuvre une utilisation adéquate de celle-ci. En ce qui concerne les OGM, elle explique comment ces produits se sont immiscés dans l’alimentation des Mauriciens, presque à leur insu…
● Vous qui connaissez si bien les plantes médicinales, pensez-vous que les Mauriciens sont suffisamment conscients de la valeur de celles-ci ?
On apprend tous les jours. J ’ai passé presque 20 ans de ma vie à travailler avec les plantes médicinales. J’ai élaboré une base de données sur les plantes médicinales de Maurice et de Rodrigues. L’inventaire des plantes médicinales de Rodrgiues a été publié en 1995. C’est là qu’on a constaté que Rodrigues abrite pas moins de 193 espèces de plantes, dont 23 endémiques, qui possèdent des propriétés médicinales. Des 23 espèces endémiques, 19 sont en voie de disparition. C’est un gros problème écologique. Heureusement, les autorités ont commencé à reconnaître les plantes médicinales. Maurice a, par exemple, signé un Mutual Agreement Transfer avec les Royal Botanic Gardens de Kew, qui a abouti au rapatriement de cafés marron propagés in vitro à Londres et in situ à Rodrigues. Ce genre d’accord existe, mais il faut toujours essayer de conscientiser les Mauriciens quant à l’importance des plantes. Pour cela, il faut commencer par toucher les jeunes générations.
Les plantes médicinales suscitent beaucoup d’intérêt car elles sont à la base même de la médecine moderne. Environ 60% des médicaments vendus en officine [en pharmacie] sont fabriqués à base de plantes et d’autres ressources naturelles. Le domaine des plantes médicinales est très porteur, tant au niveau des molécules isolées qu’au niveau des extraits phyto-standardisés. Elles sont de plus en plus appréciées par les médecins qui ont constaté qu’au Brésil, en Inde et en Chine, par exemple, il y’a des traitements très efficaces à base d’extraits de plantes.
● A Maurice, les plantes sont-elles utilisées pour des traitements médicaux ?
On a recensé 634 espèces de plantes médicinales, aussi bien endémiques qu’exotiques. Quand nous avons fait le recensement dans les années 1990, on a constaté que 15 % des 634 espèces sont endémiques. Cette découverte ouvre des voies pour l’avenir, en matière de recherche.
● Selon vous, quelles plantes endémiques sont les plus remarquables ?
Il y’a par exemple, le fameux bois de ronde, qui a été rapporté par Bouton et Daruty dans les années 1800s. L’écorce de cet arbre possède des qualités diurétiques. De ce fait, elle est utilisée par des gens qui ont des calculs rénaux. Cela pose problème au niveau de la conservation de cette plante endémique, qui est déjà en voie de disparition. Car, si les gens ne prélèvent pas l’écorce de façon responsable, la plante mourra. Il y’a donc beaucoup à faire en matière d’éducation, en termes de méthodes de récolte de l’écorce. D’autres plantes sont elles prisées pour leurs racines.
● Depuis quelques années, on constate que des multinationales tentent de faire breveter des molécules de plantes qui sont utilisées depuis des siècles à des fins médicinales par des populations indigènes. Que pensez-vous de cette démarche qui vise à étendre la propriété intellectuelle sur des ressources naturelles ?
Quand j’évalue la question de façon très dépassionnée et objective, je pense que les multinationales doivent breveter les molécules. Elles investissement dans la recherche et dans la synthèse de ces molécules. Souvent, ces brevets s’appliquent à des molécules conçues dans un laboratoire. Mais quand elles vont plus loin et qu’elles tentent de faire breveter des molécules de plantes qui font partie des pharmacopées qui datent depuis des millénaires, permettez-moi d’émettre quelques doutes.
● Comme le Neem, par exemple…
Comme le Neem effectivement, mais aussi le curcuma. Il y a des litiges et des affaires en cour pour forcer les multinationales à reconnaître que ces plantes sont utilisées depuis des millénaires et qu’elles doivent aussi respecter la propriété intellectuelle des populations locales. En rendant public les données sur des plantes médicinales, j’ai en quelque sorte donné une arme à double tranchant à la communauté scientifique. Si quelqu’un décide qu’il veut faire breveter une des ces plantes, il doit s’assurer qu’il y’a un retour des investissements. Cette démarche est de plus en plus acceptée. Certains pays ont pris l’engagement de protéger leur biodiversité en ratifiant la Convention sur la diversité biologique votée à la Conférence de Rio en 1992. Maurice a été un des premiers pays à ratifier cette convention. Les Etats Unis ne l’ont pas encore fait.
● Autre sujet controversé, celui des Organismes génétiquement modifiés (OGM). S’il n’existe pas encore de culture OGM à Maurice, on en consomme à notre insu. Tout ça n’est pas très net…
C’est vrai qu’on consomme beaucoup de produits OGM à Maurice, sans même s’en apercevoir. Par exemple, l’huile de soja est fabriqué à base de soja OGM et les céréales à base de maïs OGM. A Maurice, il n’existe pas de politique d’étiquetage pour ces produits, comme c’est le cas en Europe, où on leur a fermé la port. Je pense qu’il faut adopter une approche très pragmatique par rapport aux OGM. L’aspect sanitaire, surtout, doit être étudié de façon méticuleuse.
● Justement, quels impacts ces produits peuvent-ils avoir sur la santé ?
La débâcle de la vache folle, qui a été déclenchée parce que l’on a donné de la viande à manger à des herbivores, dans les 1990s peut nous donner une indication de ce qui pezut arriver quand on utilise des produits non-testés, non-conformes. Des études très sérieuses doivent être faites pour connaître leur impact potentiel sur la santé. En attendant, il faudra vraiment les prendre avec des pincettes. C’est vrai aussi pour les plantes médicinales.
● Les cultures OGM peuvent également résulter en un appauvrissement drastique de la diversité génétique. Qu’en pensez-vous ?
On estime qu’au Mexique, les OGM ont contaminé plus de 80 % de la diversité biologique du maïs. La question qui interpelle les scientifiques, c’est l’impact que cela aura dans le temps. Il est capital de sauvegarder cette diversité avant qu’elle ne soit contaminée par les OGM. Le concept de «la banque de semence» est encore méconnue. Si vous voulez conserver les semences, il faut mettre en place les infrastructures nécessaires. On ne sait non plus quel impact le changement climatique aura sur la flore. On voit déjà que certaines plantes, surtout dans les pays subsahariens, résistent mal à ces changements.
Les Mascareignes ont une très riche biodiversité. Il faut faire le maximum pour conserver et, surtout, aller vers le peuple avec des informations fiables. A Maurice, il existe un manque cruel de matériel pour le grand public. Les scientifiques se sont contentés de se cantonner aux publications scientifiques. Ce n’est que quand les gens comprendront l’utilité de la biodiversité qu’on pourra la conserver.