lundi 25 février 2008

L'APE porte atteinte à la coopération régionale en Afrique australe

Brigitte Weidlich, Inter Press Service (Johannesburg), 21 Février 2008

La Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) devrait engager de sérieuses discussions pour empêcher l'accord de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne (UE) de détruire ses efforts d'intégration régionale, a déclaré Paul Kalenga, conseiller principal en politiques commerciales au secrétariat de la SADC à Gaborone, au Botswana.

"La SADC est encore en retard dans son harmonisation régionale, notamment dans la création d'une zone de libre-échange, tandis qu'au même moment, elle doit négocier des accords commerciaux compliqués avec l'UE", a souligné Kalenga.

La zone régionale de libre-échange est devenue opérationnelle le 1er janvier de cette année et sera officiellement lancée au sommet annuel de la SADC en août. Une union douanière de la SADC est prévue d'ici à 2010 et des niveaux plus élevés d'intégration économique sont prévus pour être réalisés d'ici à 2018.

Les 14 Etats membres de la SADC ont différentes opinions sur la manière dont l'APE avec l'UE affectera l'intégration régionale, a indiqué Kalenga lors d'une table ronde à Windhoek, la capitale namibienne, le 13 février. Elle a été organisée par le bailleur de fonds allemand, la Fondation Friedrich Ebert.

Comme exemple, il a mentionné que le Mozambique avait fait à l'UE une offre de tarif complètement différente de celle des autres Etats membres de la SADC. "Nous avons besoin d'actions unifiées ici", a recommandé Kalenga.

Seulement 35 sur les 79 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) "ont parafé" (signé) des APE intérimaires avec l'UE en décembre de l'année dernière, y compris 15 pays caribéens qui ont signé un APE complet.

Cinq pays des 14 membres de la SADC -- Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland et Mozambique -- ont apposé leurs signatures sur un APE intérimaire. Toutefois, la Namibie a énuméré un certain nombre de préoccupations qui, si elles ne sont pas résolues, peuvent l'empêcher de ratifier l'accord d'ici à la fin de cette année.

L'Afrique du Sud n'a pas signé et continuera de faire le commerce avec l'UE dans le cadre de son Accord sur le commerce, le développement et la coopération (TDCA) séparé, tandis que l'Angola peut encore signer.

La Tanzanie, le huitième membre de ce regroupement particulier de la SADC, a signé un accord intérimaire plutôt dans le cadre de la configuration de l'APE de l'Afrique orientale et australe.

Dr Malan Lindeque, secrétaire permanent au ministère du Commerce de la Namibie, a indiqué que le refus de l'Afrique du Sud de parafer l'APE intérimaire, et son accord commercial séparé avec l'UE étaient en train de fragmenter la SADC plutôt que de promouvoir l'intégration.

L'Afrique du Sud et quatre autres pays de la SADC, Botswana, Lesotho, Namibie et Swaziland, sont les cinq Etats membres de l'Union douanière d'Afrique australe (SACU), qui existait depuis 1910.

Selon l'article 31 de la SACU, "aucun Etat membre ne devra négocier et entrer dans de nouveaux accords commerciaux préférentiels avec des tierces parties, ou amender les accords existants sans le consentement des autres Etats membres". Mais, l'Afrique du Sud a enfreint cette disposition quand elle est entrée dans le TDCA avec l'UE à la fin des années 1990.

L'APE intérimaire concerne uniquement le commerce des biens. La seconde phase inclut le commerce des services et couvre les investissements, les télécommunications, le transport, les finances et l'énergie.

Négocier la seconde phase peut avoir de sérieuses conséquences pour l'intégration économique des pays de la SADC comme ils n'ont pas ratifié de protocoles régionaux dans ces secteurs.

"Ceci est comme brûler les deux bouts de la bougie", a déclaré un participant à la table ronde, au cours d'une discussion ouverte entre le secteur privé et le gouvernement.

"Par rapport aux discussions de l'APE, la SADC n'était pas bien préparée l'année dernière", a ajouté Kalenga. Le secrétariat de la SADC avait une unité spéciale de l'APE. Son mandat a pris fin en décembre 2007 et n'a pas encore été renouvelé, ce qui pourrait constituer un problème puisque les discussions se poursuivent cette année.

Les Etats membres de la SADC qui ont signé un APE devront décider au niveau ministériel comment le nouveau secrétariat sera pourvu en personnel et renforcé dans ses capacités pour jouer un rôle plus significatif dans la prochaine phase des négociations de l'APE.

Se référant au processus l'année dernière, Lindeque a dit aux participants à la table ronde que "les règles et les délais (pour les discussions de l'APE) changeaient tout le temps.

"La Namibie était dans une situation dangereuse il y a deux mois et plusieurs pays en développement se sentaient sous pression 'pour vendre la ferme'. Nous n'étions certainement pas contents de la manière dont les choses ont été faites", a-t-il affirmé.

Selon l'APE intérimaire, la Namibie et les autres signataires ont obtenu l'accès sans taxes et sans quotas pour les produits qu'ils veulent exporter aux 27 Etats membres de l'UE, mais ils doivent donner l'accès au marché réciproque pour les biens de l'UE d'ici au 1er juillet de cette année en réduisant radicalement les tarifs d'importation sur 80 pour cent des biens.

Les tarifs restants seront éliminés progressivement sur plusieurs années.

La Namibie a des réserves au sujet des exigences des nations les plus favorisées (MFN) demandées par la Commission européenne (CE). Ceci oblige la Namibie à étendre les mêmes conditions à l'UE telles que contenues dans les accords commerciaux futurs avec n'importe quel autre pays.

La Namibie est également mécontente au sujet de la demande de la CE qui veut que les impôts et taxes d'exportation sur les produits namibiens soient supprimés comme le pays utilise ceux-ci comme mesures incitatives pour ajouter de la valeur locale.

La CE demande aussi la suppression des restrictions quantitatives internes sur les exportations de l'UE vers le reste de l'Union douanière d'Afrique australe (SACU). Ceci donne l'impression de ne pas concorder avec les arrangements commerciaux régionaux conformément aux accords de la SACU et de la SADC.

"Comment les APE affecteront-ils la SADC et la SACU? Cela n'est pas du tout clair", a indiqué Lindeque.

Une autre préoccupation de la Namibie est la nécessité d'avoir des dispositions pour protéger les entreprises naissantes, que l'UE veut seulement autoriser jusqu'à 2020, et la nécessité de maintenir des exigences minimales par rapport au contenu local des règles d'origine dans le secteur industriel.

La Namibie a pour le moment réussi à protéger sa production de bière locale en tant qu'industrie naissante en augmentant les tarifs sur les importations de bière étrangère pour les 12 prochaines années.

Le pays s'est également réservé le droit de ne pas ratifier l'accord si ces questions ne sont pas résolues de façon satisfaisante.

L'Union africaine (UA) a approuvé une forte résolution sur les APE au cours de son récent sommet à Addis-Abeba, en Ethiopie, qui a pris fin le 2 février. Elle refuse aux régions africaines de signer des APE complets "tant que l'accord préliminaire ne sera pas présenté et discuté au niveau continental".

Selon Wallie Roux, un analyste commercial indépendant en Namibie, les exportateurs du pays devraient utiliser les 10 prochains mois pour rechercher des marchés alternatifs pour ne pas compter sur l'accès à l'UE, puisqu'il pourrait bien arriver que la Namibie refuse de signer un APE complet d'ici à décembre 2008.

"Les producteurs devraient développer des stratégies pour d'autres opportunités d'exportation et investir dans la diversification des produits. L'addition de valeurs dans le secteur secondaire local est nécessaire pour que la Namibie puisse s'adapter aux défis de la mondialisation", a souligné Roux.