mercredi 13 février 2008

Conférence internationale de la SADC sur la pauvreté - Maurice - avril 2008

Gilles RIBOUET, L'Express de Maurice, 12 février 2008

Au moins d’avril, se tiendra la conférence internationale de la SADC sur la pauvreté à Maurice. L’Etat doit revoir certaines de ses mesures, dont la protection sociale universelle. Ces aides publiques n’atteignent pas réellement ceux qui en ont le plus besoin : les plus pauvres. On parle à nouveau du ciblage social.


Cheval de bataille du gouvernement, le ciblage social, dans la politique de lutte contre la pauvreté, fait l’objet d’un véritable débat. Au mois d’avril, Maurice accueillera la conférence de la Southern African Development Community (SADC) sur la pauvreté. C’est une réalité mauricienne qu’on ne peut occulter et qui tend à augmenter légèrement.

Chercheuse au Centre national de la recherche scientifique en France, Kirsten Koop, a montré que «l’île Maurice est souvent citée comme un des rares exemples de réussite d’intégration d’un pays du Sud dans le marché mondial». Poursuivant son propos, la chercheuse rappelle que «le développement économique extraordinaire de l’île [a entraîné] une baisse considérable de la pauvreté».

Cependant, la conjoncture internationale de libéralisation du commerce a porté un coup au pays. Sa compétitivité est ainsi mise à rude épreuve. «La pression de la compétition mondiale a eu pour conséquence un nombre croissant d’emplois précaires et sous-payés. Le résultat de cette évolution économique est une augmentation considérable du chômage et une masse grandissante de “travailleurs pauvres” – un phénomène bien connu dans nos pays industrialisés et directement lié à la concurrence accrue des entreprises. En conséquence, la pauvreté à l’île Maurice réaugmente de nouveau».

Les chiffres corroborent le constat. Si entre 1996/97 et 2001/02, la part des pauvres dans la population a diminué (8,7 % à 7,7 %.), force est de reconnaître une détérioration parallèle de leurs conditions de vie. Gérard Malliaté, observateur aguerri et responsable de l’Association des emprunteurs abusés, constate «une réelle augmentation de la pauvreté, une érosion de la classe moyenne, notamment inférieure. L’endettement s’accentue et renforce la pauvreté».

L ’income gap ratio (différence entre le seuil de pauvreté et le revenu principal du ménage, exprimé en pourcentage du seuil de pauvreté) a augmenté de 21 % à 22,6 %. C’est surtout le poverty gap ratio (somme manquante au revenu minimal pour sortir de la pauvreté, exprimé en pourcentage du seuil de pauvreté ou en valeur absolue), qui est à considérer. Passant de 1,7 % à 1,8 % du revenu minimal, la somme supplémentaire nécessaire mensuellement pour sortir de la pauvreté est, en 2001/02, de Rs 50,50 – contre Rs 34,07 en 1996/97.

«En d’autres termes, environ Rs 450 millions auraient été nécessaires durant l’année financière 2001/02 pour sortir toutes les personnes de la pauvreté», peut-on lire dans le rapport sur la pauvreté. Pour 2006/07, il aurait fallu Rs 72,50 au dessus de leur revenu, par personne et par mois pour les sortir de la pauvreté, soit une enveloppe totale de Rs 1 milliard.

Les familles les plus démunies ne sont pas, en réalité, les principaux bénéficiaires des aides gouvernementales. En fait, l’universalité des subventions pose problème. Dans son message de Nouvel an, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a insisté sur le fait que les subventions universelles «ne sont pas la solution». L’Etat privilégie donc un ciblage des aides octroyées.

Pour cette année financière, le montant des subventions pour le gaz ménager représente une enveloppe de Rs 700 millions. Or, les ménages les plus pauvres consomment trois fois moins de gaz que les ménages aisés.

En effet, environ 80 % des subventions du gaz ménager sont, en vérité, brûlés par les ménages les plus riches. Le ministre des Finances a récemment pris cet exemple pour dénoncer l’absurdité de la politique de subventions actuelle. «L’aide destinée aux pauvres ne devra pas aller dans d’autres poches que celles des personnes sans ressources», a déclaré le grand argentier, le 27 janvier dernier.

Les chiffres des dépenses mensuelles de l’Etat par ménage ayant un enfant scolarisé dans le primaire sont également éclairants. Alors que la dépense étatique pour un ménage défavorisé s’élève à Rs 1 723, le montant est légèrement inférieur pour les ménages les plus riches, soit Rs 1 552. Pour les enfants scolarisés dans le secondaire, le coût pour l’Etat est supérieur dans les classes les plus aisées, soit Rs 3 890, contre Rs 3 511 pour les plus pauvres. C’est donc, à juste titre, que se pose la question d’une meilleure redirection des dépenses publiques pour l’éducation. En s’en tenant aux chiffres, ce sont bien les classes riches qui profitent le plus des aides de l’Etat pour la scolarité. Lorsque 9,7 % des dépenses de l’Etat sont destinés aux 10 % les plus riches, la part revenant aux 10 % les plus pauvres n’est que de 9,3 %.

La pension de retraite versée par l’Etat est également l’un des points saillants du ciblage social. Ainsi pour la classe la plus riche – «wealthy» – l’Etat dépense pour l’ensemble des prestations sociales (dont la pension) Rs 793 millions. L’utilité de verser Rs 2 000 mensuellement à des ménages recevant plus de Rs 25 000 est sujette à caution. Ces Rs 793 millions pourraient, par exemple, être réinjectées en faveur des plus démunis. De Rs 1,107 milliard, l’aide totale s’élèverait donc à Rs 1,9 milliard.

D’abord abolies, puis rétablies, les subventions sur la farine aident les plus pauvres. Toutefois, si l’on considère une augmentation de 20 % du prix de la farine, le coût mensuel additionnel pour un ménage pauvre sera de Rs 5,59 la livre contre Rs 4,87 pour un ménage aisé. En fait, une hausse du prix de cette matière première a un effet domino. Pain, pâtisseries, viennoiseries ou faratas seront plus chers. On voit donc que ces subventions, si elles sont certainement nécessaires pour les plus pauvres. profitent davantage aux ménages les plus riches, mais aussi à l’hôtellerie (qui propose petits pains, viennoiseries et pâtisseries à ses clients).
L’Etat-providence mauricien n’est pas remis en question. Le véritable enjeu consiste en une meilleure gestion de l’aide afin qu’elle profite de manière effective aux ménages les plus démunis. Les subventions universelles ressemblent plus à une forme de gaspillage dans la mesure où elles profitent davantage aux classes les plus aisées, eu égard à leur consommation.

Il n’empêche que l’érosion du pouvoir d’achat porte aussi atteinte au porte-monnaie de la classe moyenne. Gérard Malliaté plaide pour la mise en place d’un observatoire de la pauvreté. «C’est un enjeu national. Il nous faut faire un suivi régulier de la pauvreté et non pas attendre des études tous les cinq ans».

Trouver le juste équilibre n’est pas aisé. Mais le nerf de la guerre est bien l’éradication de la pauvreté. Or, celle-ci a augmenté entre 2001/02 et 2006/07, passant de 7,8 % de la population à 8,7 %.

Le ciblage social semble être l’une des manières les plus justes et judicieuses pour lutter efficacement contre la pauvreté. Réduire les inégalités et éviter la détérioration des conditions de vie des plus pauvres s’inscrit en filigrane dans la politique adoptée. La réduction des inégalités est surtout une urgence. La question d’une aide spécifique aux plus démunis, en redirigeant les subventions de ceux qui n’en ont pas besoin, se pose avec acuité.

Pour mieux cerner l’état de la pauvreté dans le pays, et prendre les mesures les plus adaptées, il faudra attendre la présentation du dernier rapport sur la pauvreté, le 19 février prochain.