La Réunion et les Accords de partenariat économique
Un changement radical se prépare : La Réunion va faire partie d’une zone de libre-échange intégrant les 27 États membres de l’Union européenne et les pays de son environnement géographique. La Réunion est-elle prête à s’adapter à cette situation qui découle des orientations de l’Organisation mondiale du commerce ?
Depuis le 1er janvier 2008, un accord intermédiaire régit les relations commerciales entre l’Union européenne et les pays de la région. C’est une première étape vers l’intégration de La Réunion dans une zone de libre-échange répondant aux normes libérales de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Face à cette nouvelle situation, La Réunion est-elle prête ?
L’accord intermédiaire est un préalable aux Accords de partenariat économique que l’Union européenne veut signer avec 78 pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Par cette démarche, l’Union européenne veut que ses relations commerciales avec ces 78 pays soient conformes aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Ce qui veut dire que doit se dessiner à terme une zone de libre-échange entre l’Union européenne et 6 groupements régionaux dans lesquels sont répartis les pays ACP. Dans la région, ces derniers font partie du groupe ESA. Cela concerne donc Madagascar, les Comores, Maurice, les Seychelles, ainsi que le Mozambique, la Tanzanie notamment.
A La Réunion, l’accord s’applique en considérant notre île comme une région de l’Union européenne, avec comme première conséquence une ouverture à 100% du marché réunionnais à tous les produits en provenance des ACP de la région, sauf pour le sucre et les produits qui pourront être protégés par une clause de sauvegarde d’une durée maximale de 8 ans.
L’exemple du sucre
Jusqu’à présent, La Réunion évolue dans un système hyperprotégé. C’est que montre par exemple la principale exportation du pays : le sucre. Ce produit a accès au marché le plus solvable du monde dans des conditions extrêmement préférentielles. En effet, le sucre exporté de La Réunion vers l’Union européenne bénéficie d’un prix fixe, garanti et largement supérieur au cours mondial. En outre, l’Union européenne s’engage à acheter jusqu’à 300.000 tonnes à ce prix. Il n’est jamais arrivé dans l’Histoire que La Réunion dépasse ce quota. Il faut remonter à des décennies pour approcher cette valeur. Les records datent en effet de 1969 (260.000 tonnes) et de 1978 (272.000 tonnes). Or, ce système de quota et de prix garantis entre en totale contradiction avec l’orientation prônée par l’OMC, qui se traduit dans les futurs Accords de partenariat économique. Cette traduction a même lieu en ce moment, aux portes de La Réunion.
Depuis 1975, les 18 pays ACP exportateurs de sucre, comme Maurice, peuvent encore avoir accès au marché européen dans des conditions comparables, à savoir quota et prix garantis. C’est le Protocole sucre. Mais l’Union européenne a dénoncé cet accord l’année dernière. Et en 2009, les signataires du Protocole sucre seront traités de la même façon que les pays éligibles à l’initiative “Tout sauf les armes” : accès au marché européen dans les mêmes conditions que les PMA, d’où une concurrence directe entre des pays de niveaux de développement différents.
Un communiqué du Conseil européen daté d’octobre 2007 l’affirme avec force : « en octobre 2009, la libéralisation totale des importations de sucre prendra effet, sans restriction, pour l’ensemble des PMA ». Quant à la Commission européenne, elle indiquait le 4 avril 2007 dans son offre de négociation qu’en 2015, « le sucre ACP sera libre de droits et de contingents, et il y aura un ajustement de la clause de sauvegarde standard des APE pour prendre en compte la sensibilité du sucre ». Autrement dit, il est certain que le prix du sucre produit par les signataires du Protocole sucre sera acheté par l’Europe au prix du marché. Cet exemple ne peut que faire réfléchir.
Inadaptation structurelle
D’autres secteurs de l’économie soulignent également la difficulté d’une adaptation rapide aux contraintes du libre-échange. Jusqu’en 2014, l’Octroi de mer permet d’élever une barrière protectrice. Considéré par l’Union européenne comme une fiscalité interne, il n’est pas mis sur la table lors des négociations des APE. Si des pays ACP l’ont évoquée, c’était une « posture de négociation », précise Jacques Wunenburger, chef d’unité à la Direction générale Commerce extérieur de la Commission européenne.
Mais de toute façon, cette taxe qui touche de nombreux produits importés sera rediscutée par une Union européenne élargie à au moins 27 pays. Au-delà de l’impact sur les finances des collectivités territoriales réunionnaises, la remise en cause de l’Octroi de mer signifie la remise en cause d’une mesure protégeant les producteurs réunionnais de la concurrence internationale. Or, c’est précisément ce type de protection que l’OMC ne tolère pas, car c’est un obstacle à sa conception du libre-échange.
Ne reste alors que la clause de sauvegarde pour préserver un secteur menacé. Mais cela ne peut durer que 8 ans. Un délai au terme duquel le libre-échange s’applique, c’est-à-dire la mise en concurrence des producteurs réunionnais avec ceux des pays voisins pour vendre sur le marché réunionnais et sur le marché européen.
Cette inadaptation structurelle de l’économie réunionnaise aux contraintes du libre-échange ne date pas d’hier. C’est le résultat de politiques menées depuis des décennies qui l’ont enfermée dans une relation commerciale quasi-exclusive avec son ancienne métropole coloniale. En effet, si à La Réunion, 42% de la richesse créée est dépensée dans les importations, les trois-quarts de ces dernières proviennent de l’Union européenne.
Cela s’explique par l’intégration économique de La Réunion à la France puis au Marché commun.
Or, depuis le 1er janvier dernier, tous les produits fabriqués dans la région peuvent entrer à La Réunion dans les mêmes conditions que les produits européens, à l’exception du sucre, du riz et de la banane, et des productions locales qui pourraient faire l’objet d’une clause de sauvegarde. C’est ce que permet l’accord intérimaire signé l’an dernier. C’est dire combien le résultat de les Accords de partenariat économique signifient une nouvelle ère. Et il ne reste que peu de temps pour réagir et s’adapter.
L’Europe est-elle prête à payer pour exclure les RUP des APE ?
A cette question, une réponse peut être proposée : la dérogation. Mise en demeure par l’Organisation mondiale du commerce de mettre fin aux accords préférentiels qu’elle entretenait avec les pays ACP, l’Union européenne a pu négocier une dérogation d’une durée de 2 ans pour aller jusqu’au 1er janvier 2008.
Mais en échange du maintien du régime préférentiel pendant 2 ans, l’OMC a fait payer une pénalité conséquente. Jacques Wunenberger rappelle que l’Union européenne a dû autoriser l’importation de 25.000 tonnes de thon en boîte à droits de douane réduits de 50% en provenance de la Thaïlande et des Philippines. Ce produit est donc entré en concurrence avec le thon exporté des Seychelles. Résultat : ce sont les Seychellois qui ont payé le prix de la dérogation accordée à l’Union européenne et aux ACP.
Or, l’exclusion des RUP, dont La Réunion, du champ d’application des Accords de partenariat économique ne pourrait être de droit commun. Cela ne serait un régime dérogatoire. Car exclure les RUP d’une zone de libre-échange, cela veut dire maintenir des droits de douanes à l’importation des produits issus des pays voisins. Ce qui est une situation en totale contradiction avec la politique de l’OMC.
L’Organisation mondiale du commerce ne manquerait pas d’imposer à l’Union européenne de payer le prix de cette dérogation. Cela signifierait par exemple l’accès au marché européen à des conditions préférentielles de produits venant concurrencer directement des secteurs économiques stratégiques de l’Union européenne. Et cela affaiblirait sans doute la position de l’Union européenne dans les négociations en cours à l’OMC.
A moins que La Réunion puisse changer les règles de l’OMC, cette possibilité semble bien utopique. En effet, 27 pays européens prendraient-ils le risque de perdre des milliers d’emplois pour préserver les intérêts des RUP ? Et cela d’autant plus qu’une grande partie de ces pays a un niveau de vie inférieur à la moyenne réunionnaise.
Le prix de la rente de situation payé par les Réunionnais
Mise en œuvre pour préserver des producteurs fragilisés par la concurrence de pays ayant un coût de production moins élevé, la clause de sauvegarde peut avoir un effet pervers en maintenant artificiellement des prix élevés.
Là aussi, l’exemple du sucre est révélateur. En effet, les mesures prises pour protéger le sucre réunionnais ne concernent que le sucre vendu à La Réunion. Autrement dit, là où l’essentiel de la production est vendu, c’est-à-dire en Europe, le sucre réunionnais a vocation à être soumis à la concurrence des sucres produits dans les ACP et dans les PMA. Mais à La Réunion, il n’y aura pas de concurrence. Les mesures transitoires empêchent l’importation de sucres produits dans les pays voisins.
Étant donnée la configuration actuelle, cela signifie un avantage considérable pour les industriels du sucre à La Réunion. Ils ont en effet la certitude d’écouler à un prix élevé une partie de leur production sur un marché captif situé aux portes de leurs usines.
Ce qui fait augmenter les prix. En effet, si un pâtissier a besoin de sucre pour produire, il est obligé d’acheter le sucre des usiniers locaux. Il n’a pas le droit d’importer du sucre moins cher en provenance des pays voisins. Par conséquent, ce pâtissier va voir son coût de production augmenter, et ses produits seront plus chers.
Implanté à Madagascar ou même en France, son concurrent peut librement introduire du sucre PMA ou ACP dans ses préparations. Sans compter la main d’œuvre, son coût de production est moins élevé puisqu’il paie son sucre bien moins cher. Il peut donc ensuite vendre moins cher sur le marché réunionnais, tandis que le pâtissier local est bloqué dans son développement par la contrainte d’acheter du sucre produit à La Réunion, et vendu à un prix plus élevé.
Quant aux usiniers, ils ont l’assurance d’avoir un débouché garanti pendant des années, et ils sont assurés de ne pas avoir de concurrents. C’est bien la caractéristique d’une rente de situation, payée par les Réunionnais.