lundi 2 mars 2009

« La dimension ethnique est une constante dans les conflits sociaux en Guadeloupe »

Pour Patricia Braflan-Trebo, chargée de cours en gestion des ressources humaines à l'université des Antilles et de la Guyane, la dimension ethnique du conflit ne fait pas de doute et le phénomène de discrimination des jeunes diplômés guadeloupéens est patent.

La nature du conflit est-elle uniquement économique et sociale ?

Les conflits sociaux en Guadeloupe ont toujours une particularité liée à notre histoire : les relations sociales sont des relations socio-raciales. Chaque fois que vous avez un conflit social, vous avez non seulement une opposition de classe mais aussi une opposition de « race ». La dimension ethnique et identitaire est une constante pour des raisons historiques. La société guadeloupéenne est née de l'esclavage et de la colonisation, et elle est encore très marquée par cela aujourd'hui. L'égalité des droits n'a pas effacé les inégalités économiques. Pour emprunter la formule d'un anthropologue guadeloupéen, on peut dire que, depuis la fin de l'esclavage, « des relations nouvelles se sont formées dans les mêmes moules, sans jamais les briser ». L'héritage du passé n'a jamais été digéré et réglé.
Comment se manifestent les injustices raciales et les discriminations ?

Principalement au niveau de l'emploi des jeunes Guadeloupéens, dont certains sont hyper-diplômés et qui n'obtiennent que rarement des postes d'encadrement. La majorité des grands patrons étant des descendants de propriétaires d'esclaves ou venant de métropole, ils favorisent l'embauche de cadres blancs venant eux aussi de métropole. C'est presque inconscient, ils reproduisent leur schéma. Ils ne se rendent même pas compte de leurs pratiques discriminatoires. En ce sens, le conflit n'aura pas été inutile en faisant prendre conscience de ce problème. Une des revendications fortes, au-delà de la hausse des bas salaires, est d'ailleurs la priorité donnée à l'embauche, à compétence égale, aux Guadeloupéens d'origines africaine et indienne.
Diriez-vous que la situation est comparable à celle des banlieues en métropole ?

Le sentiment d'abandon est exactement le même. La Halde est d'ailleurs saisie en Guadeloupe dans les mêmes proportions et pour les mêmes raisons qu'en métropole. Cela dit, il y a aussi des personnes blanches parmi les manifestants, car les difficultés économiques ne touchent pas uniquement la population noire. Le conflit est à la fois ethnique et social. Les hommes politiques qui refusent de reconnaître la dimension identitaire de cette crise refusent tout simplement de voir que le modèle d'intégration français a échoué en banlieue comme en Guadeloupe. Nous savons pertinemment que nous ne sommes pas égaux en Guadeloupe. Le pouvoir est réparti principalement entre des mains blanches. Tous les hauts fonctionnaires de l'Etat, à commencer par le préfet et son équipe, sont blancs, de même que les patrons des entreprises publiques. A ce titre, l'Etat est loin de montrer l'exemple.
Croyez-vous aux états généraux proposés par Nicolas Sarkozy ?

Non, je n'y crois pas, car nous avons déjà eu des états généraux qui n'ont rien donné. La solution viendra plutôt d'une véritable présence en Guadeloupe des autorités administratives indépendantes comme la Halde ou la Haute Autorité de la concurrence pour qu'elles fassent respecter toutes les règles en vigueur sur tout le territoire français. Je reste optimiste malgré tout. Cette crise est salutaire, il fallait de toute façon crever l'abcès.