Accords économiques UE-ACP : Christiane Taubira jette un pavé dans la mare
Christiane Taubira, parlementaire de gauche (PRG), a été sollicitée par Nicolas Sarkozy au mois d’avril dernier pour réfléchir au moyen de relancer les APE (Accords de partenariat économique) négociés entre la Commission Européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), sous la houlette de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Deux mois plus tard, elle rend un rapport qui semble gêner à l’Elysée, dans lequel elle va à contre-courant du libéralisme de mise en ces temps de mondialisation dévorante. Le Président de la République ne s’est toujours pas exprimé sur le sujet. La tête de file du PRG s’impatiente.
Rapport terminé, et après ? Christiane Taubira, la Député de Guyane, a rendu le 16 juin dernier à Nicolas Sarkozy son étude concernant les Accords de Partenariat Economique (APE) entre l’Union Européenne et les Etats ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique). Il s’agissait pour elle de préparer la relance des accords de libre-échange et de définir la position française sur ce sujet. Depuis, plus rien. Effectué dans un laps de temps très court -deux mois- ce travail mérite, selon la politicienne apparentée PS, au moins un commentaire de l’Elysée. Dans un communiqué de presse publié sur son site le 27 juin, elle répond aux interrogations légitimes des spécialistes et de la presse qui attendent les suites de ce rapport publié sur le journal en ligne Mediapart : « Mme Taubira déclare ignorer les raisons pour lesquelles aucune réaction n’est parvenue, près de deux semaines après avoir rendu son rapport. » Du côté de l’exécutif, c’est le silence complet. Visiblement, certaines solutions et conclusions proposées par Christiane Taubira ne sont pas du goût du président de la République, alors que s’ouvre le mandat, pour six mois, de la présidence française à la tête de l’Union Européenne.
« Et si la politique se mêlait enfin des affaires du monde ? »
Dans un long rapport de 191 pages, la députée PRG (Parti Radical de Gauche), répond à la lettre de mission de Nicolas Sarkozy qui, en avril dernier, lui demandait de clarifier les intentions de la Commission Européenne à l’égard des pays ACP, de « restaurer une relation de confiance », de parvenir à faire pleinement profiter les pays concernés des retombées d’une ouverture du marché, et de créer une dynamique porteuse de développement, en favorisant l’intégration régionale. Il s’agissait donc pour Christiane Taubira d’esquisser des solutions pour pallier les lacunes des APE, négociation difficile entre UE, [Etats ACP et OMC. Il s’agissait aussi d’enterrer définitivement les Accords de Lomé (1975) par lesquels les pays africains bénéficiaient de tarifs douaniers préférentiels voire exonérés sur le marché européen et d’entériner à la place la solution de Cotonou (2000). Cet accord prévoit une ouverture commerciale quasi complète-100% pour le marché européen et 80% pour le marché ACP-, pour faire jouer « la concurrence pure et parfaite ».
Ce à quoi la députée, qui a une formation d’économiste, a répondu par plusieurs propositions qui représentent un virage à 180° dans la politique menée jusqu’ici par l’Europe. « Ce rapport n’est pas écrit à l’eau tiède. J’assume d’avoir instruit à charge. Non contre des institutions, un camp, ou même contre des personnes. (…) Mais contre une vision du monde, des superstitions conservatrices (…) qui ont pourtant produit d’effroyables désastres », explique-t-elle en avant-propos. Christiane Taubira se prononce donc en faveur d’une révision complète du mode d’action de la Commission Européenne, prônant même un retour aux accords de « non-réciprocité », ceux qui considéraient que, le Nord et le Sud étant développés à des degrés différents, on ne pouvait leur imposer la même réglementation libérale. Ensuite, elle place le développement, a fortiori le développement durable, au centre des Accords de Partenariat Economique. Plus loin, elle suggère une annulation de la dette extérieure des Etats africains. Et elle consacre le premier chapitre à évoquer les solutions pour contrecarrer la crise alimentaire et éviter les émeutes de la faim.
Un constat politique plus qu’une ébauche technique
Ce qui dérange probablement, dans ce rapport, c’est son ton critique, sans concession pour une politique économique qui a, de l’avis de l’auteure, maintenu les pays africains dans la dépendance vis-à-vis du marché européen. La relance des APE, que compte bien réaliser la France lors des six mois de gouvernance de l’UE, lui semble dangereuse au vu de la fragilité des Etats. Selon elle, le changement sera presque imperceptible pour l’Europe mais risque de mettre à mal des pans entiers de l’économie des pays ACP. En abattant presque complètement les barrières douanières, le marché africain s’expose à être inondé de marchandises européennes de meilleure qualité et à moindre coût. Les compensations envisagées par l’OMC et l’Europe ne pourront pas combler le manque à gagner pour ces pays, d’autant que les droits de douanes qu’ils perçoivent représentent pour eux une part non négligeable de leurs ressources. Christiane Taubira reprend les critiques des ONG et se positionne du côté de la sauvegarde des valeurs humaines : « Ou bien les mécanismes continuent de faire la loi et les injustices vont leur train jusqu’au chaos qu’aucun mur ni aucune statistique péremptoire ne parviendra à endiguer. Ou bien la Politique se mêle des affaires du monde ».
Le calendrier prévu pour finaliser les APE est fixé à octobre 2009. La présidence française de l’UE est censée être l’instigatrice d’une dynamique de relance, dont le rapport Taubira devait poser les jalons. En ne communiquant pas à ce sujet et en laissant penser qu’il n’y a pas trouvé satisfaction, Nicolas Sarkozy laisse augurer d’un début de mandat ardu quant aux questions économiques afro-européennes.