dimanche 22 juin 2008

Robert Mugabe, le pouvoir coûte que coûte

Angélique Mounier-Kuhn, Le Temps, Vendredi 20 juin 2008
ZIMBABWE. Le président résiste aux pressions étrangères. L'hypothèse d'un gouvernement d'unité nationale se fait jour, sans convaincre.


Le scepticisme s'est mué en inquiétude puis en certitude à mesure que s'égrenait le compte à rebours pour le second tour de la présidentielle au Zimbabwe: les conditions d'un scrutin juste et équitable le 27 juin ne sont pas réunies. Il opposera Robert Mugabe, l'homme fort et inflexible de l'ancienne Rhodésie du Sud à Morgan Tsvangirai, le premier en trois décennies à oser lui contester le siège de président. Le chef du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) était arrivé en tête du premier tour le 29 mars (par 47,9% des voix contre 43,2% selon les résultats «officiels») et son parti avait remporté les élections législatives le même jour.

Depuis cette date, les violences perpétrées par des miliciens et les militaires à la botte de la ZANU-PF, le parti présidentiel, sont allées crescendo. Intimidation, déplacements de population, arrestations et même exécutions: tous les moyens sont bons pour peser sur le scrutin. Le MDC déplore l'assassinat de 70 de ses partisans, la disparition de 200 personnes et l'hospitalisation de 3000 autres. Arrêté dès sa sortie d'avion au retour d'une tournée à l'étranger au motif de «trahison», le numéro deux du MDC, Tendai Biti, est maintenu en détention depuis le 12 juin et a été inculpé jeudi de subversion (lire encadré). Morgan Tsvangirai a pour sa part été interpellé, puis relâché, à cinq reprises durant sa campagne des quinze derniers jours. Mardi, un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme était expulsé deux jours après son arrivée à Harare. «Nous sommes très inquiets de l'emprisonnement depuis le 28mai d'Eric Matinenga, le plus grand avocat des droits de l'homme du pays, pour aucune raison si ce n'est d'avoir dénoncé les agressions de l'armée contre la population», complète Arnold Tsunga, de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. «Mugabe s'est totalement affranchi de la loi pour créer un climat d'impunité», ajoute-t-il. Tout comme il fait la sourde oreille à la clameur internationale qui s'est élevée ces derniers jours.

«La situation est profondément alarmante», a lancé mercredi Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, tandis que le premier ministre britannique Gordon Brown évoquait un pays «dirigé par une cabale criminelle» et que son homologue kényan, Raila Odinga, réclamait le déploiement d'une force de maintien de la paix pour garantir un scrutin honnête. Qu'elles émanent de l'ONU, du Commonwealth ou de l'Union européenne, ces exhortations «n'ont clairement aucune importance pour Robert Mugabe, commente Dirk Kotze, universitaire à Pretoria, en Afrique du Sud. Son approche est basique, et se borne à dire que ces instances n'ont pas à se mêler d'affaires intérieures».

Intraitable, le président refuse toujours l'ouverture de son pays aux observateurs internationaux autres que ceux de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et à la presse étrangère. Il a même haussé le ton le week-end passé, agitant le spectre d'une guerre si les «traîtres» du MDC l'emportaient. «Il semble penser que la population ne doit pas avoir le choix de changer de leader. C'est une société féodale, comme en Europe il y a sept cents ou huit cents ans. Le parti au pouvoir se comporte en famille royale, sans rendre de comptes», dénonce John Robertson, économiste à Harare.

«Seule la SADC pourrait avoir un peu de poids», poursuit Dirk Kotze. Or, celle-ci n'en a pas vraiment joué. Certes, la Zambie ou le Botswana ont officiellement protesté contre les exactions du pouvoir en place, «mais pas Thabo Mbeki, ce qui est comme une assurance donnée à Mugabe qu'il peut continuer», poursuit Dirk Kotze. Le penchant du président de l'Afrique du Sud, désigné par la SADC comme médiateur entre Mugabe et l'opposition dès l'an passé, pour une diplomatie «discrète», n'en finit pas d'être vilipendé. Sur sa forme, trop tiède; et sur le fond, faute d'avoir engendré le moindre résultat tangible. «A quoi bon une diplomatie discrète quand une catastrophe humaine est en cours?», s'interroge Arnold Tsunga.

Thabo Mbeki s'est pourtant rendu mercredi au Zimbabwe. Selon la presse sud-africaine, il aurait tenté de rallier Mugabe et Morgan Tsvangirai à sa botte secrète pour mettre un terme à la crise: la formation d'un gouvernement d'union nationale, associant ZANU-PF et MDC. «L'appel au compromis est l'option qui conviendrait le mieux. Car le résultat de l'élection (ndlr: en cas de victoire du MDC) pourrait aggraver les tensions», estime Chris Maroleng, de l'Institut d'études et de sécurité à Pretoria. Mais ce scénario, qui rendrait inutile le déroulement du second tour, est encore loin de faire l'unanimité. C'est peut-être «la moins mauvaise d'une série de piètres alternatives, estime John Robertson. Mais demander aux membres du MDC de s'allier à un parti corrompu et qui s'est comporté de manière criminelle, c'est comme demander au chef de police de s'unir à des escrocs.» «Ce n'est pas une bonne idée», dénonce pour sa part Dirk Kotze, évoquant le fonctionnement pénible du gouvernement d'unité nationale instauré au Kenya. «Elle reviendrait à diviser le pouvoir plus qu'à le partager et polariserait les deux partis sans les rapprocher», estime-t-il. Permettre à Mugabe de rester au pouvoir, alors même que les électeurs s'y opposent, tranche Arnold Tsunga, serait «un échec pour la démocratie en Afrique».

La société civile africaine ne se tait pas
Un milliardaire soudanais finance une pétition.

Rares ont été les responsables africains à juger ouvertement inadmissible la dérive du Zimbabwe, tandis que le mutisme des instances continentales, Union africaine et Communauté de développement d'Afrique australe, se faisait assourdissant. L'initiative de Mo Ibrahim, milliardaire d'origine soudanaise ayant fait fortune dans les télécommunications (Celtel), n'en apparaît que plus remarquable. Vendredi passé, la fondation qui porte son nom et se voue au progrès de la gouvernance en Afrique, a publié sur une pleine page du Financial Times et du Business Day sud-africain, une pétition signée d'éminentes personnalités. De Kofi Annan à Desmond Tutu en passant par Youssou N'Dour, toutes en appellent à la fin des violences, et à l'implication des leaders africains pour assurer le bon déroulement de la présidentielle du 27 juin. «Beaucoup de publications occidentales déploraient que les Africains ne s'expriment pas. Or, ils ont une nette opinion de ce qui se déroule en ce moment au Zimbabwe», explique Mo Ibrahim. Cette initiative est le moyen de «faire entendre clairement et fortement la voix de l'Afrique», celle de la société civile. Car pour le philanthrope, les Africains aux commandes n'ont, eux, pas suffisamment dénoncé la crise, «ce qui en soit est un problème de gouvernance. A cet égard, la société civile est en avance sur les gouvernements.»

Mo Ibrahim avoue ne pas savoir si sa pétition aura un impact. «Plus qu'une initiative, c'est une accumulation de petites actions qui peut forcer le gouvernement du Zimbabwe à l'ouverture, estime-t-il. Les méthodes de Robert Mugabe et de ses amis sont inacceptables.» A la société civile de jouer son rôle pour que disparaissent ces «mauvaises habitudes».