mercredi 18 juin 2008

AFRICA DAY: Le continent de toutes les convoitises

Par Gilles RIBOUET, L'Express de Maurice, 26 mai 2008

L’Afrique et ses maux. Crises politiques. Guerres. Corruption. Famines. Calamités naturelles... L’Afrique, c’est aussi des réussites, des avancées démocratiques – parfois mises à mal il est vrai – et des richesses naturelles… que convoitent de nombreux pays. Présents depuis des lustres sur le continent, les Occidentaux doivent, aujourd’hui, subir une rude concurrence venant des puissances émergentes. Notamment de la Chine et de l’Inde. Et le Brésil, dans une moindre mesure. Qu’en est-il de cette présence nouvelle en Afrique ? Sous quelle forme s’exprime-t-elle ? Pourquoi tant d’intérêts ?

Riche en minerais, hydrocarbures et en forêts à exploiter, l’Afrique a la possibilité de répondre, en partie, aux besoins chinois et indiens. En effet, la Chine et l’Inde ont une croissance considérable qu’il leur faut soutenir et leur demande est énorme.

Ainsi, malgré leur présence historique sur le continent, les pays occidentaux se voient concurrencés. Le pré carré est près de voler en éclats. Les amitiés et les liens du passé ne tiennent plus face à une telle générosité venue d’Asie. Les conditions politiques qu’attachent les Occidentaux à leur aide et à leurs programmes de coopération n’arrangent en rien les choses. Les puissances asiatiques l’ont bien compris.

La Chine est, d’ailleurs, souvent montrée du doigt pour ses relations diplomatiques avec les «parias» – selon les Occidentaux – de la scène africaine : l’Angola, le Zimbabwe et le Soudan. Cela dit, l’Angola souffre moins aujourd’hui de sa mauvaise image passée. Les nations occidentales et les Chinois courtisent, à grands coups diplomatiques et coûts économiques, le pays d’Eduardo dos Santos. Les Chinois ont obtenu plusieurs contrats pour la construction de nombreuses infrastructures publiques. La France, elle, cherche «un nouveau partenariat décomplexé» avec l’Angola, selon les propres mots du chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy. Il était en visite éclair à Luanda en fin de semaine dernière. Rappelons que l’Angola Gate (affaire de vente illégale d’armes) avait failli porter un coup sérieux aux relations bilatérales entre les deux pays.


Pétrole et diamants, moteurs de l’économie

Bref, l’Afrique attire. De plus en plus. Surtout pour ses matières premières, dans un contexte conjoncturel défavorable. Les gouvernants africains l’ont bien compris. Les concessions à des entreprises étrangères sont un volet que l’on ne peut occulter. A présent, l’objectif est de réussir, pour les Africains, à se sentir moins lésés selon les termes des contrats. Si la manne financière que représente le sous-sol africain est un fait avéré, force est de reconnaître que les sommes considérables qui se dirigent vers le continent et qui ne cessent d’augmenter, ne sont pas équitablement redistribuées. Le développement n’est donc pas total dans la mesure où l’on entend par «développement», une croissance économique et une réduction durable des inégalités sociales et économiques.

L’Angola est l’un des pays africains vers lequel, de plus en plus, se tournent les regards des puissances étrangères, traditionnelles ou émergentes. Le pétrole et les diamants sont les moteurs d’une économie affichant un taux de croissance de 15 % l’an. Or, les inégalités restent criantes. 70 % de la population vivent toujours sous le seuil de pauvreté. La Guinée Equatoriale de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est devenue l’un des poids lourds de la diplomatie d’Afrique centrale, grâce à ses mirifiques revenus pétroliers et le soutien sans faille des puissances occidentales, dont les Américains. Mais comme en Angola, la population ne reçoit pas les dividendes de la manne pétrolière, même s’il est vrai que le niveau de vie a augmenté et que ce petit Etat affiche un produit national brut par habitant supérieur à 6 000 $ – ce qui ne reflète absolument pas les inégalités.

L’Afrique n’est, pour autant, pas condamnée. Les avancées démocratiques existent. La stabilité, souvent mise à rude épreuve, n’est pas une chimère. Des économies continuent à progresser. Maurice fait, à ce titre, figure d’exception sur la scène africaine. En cela, l’île est rejointe par la Tunisie, le Maroc, le Botswana et les Seychelles. L’Afrique du Sud, malgré de grandes disparités internes, reste le leader de l’économie continentale, suivie par l’Egypte.

Dans un entretien accordé, il y a une dizaine de jours, à l’hebdomadaire français Le Journal du dimanche, Alain Joyandet, le nouveau secrétaire d’Etat à la Coopération, déclare : «Je veux rectifier le tir en ce qui concerne notre développement économique en Afrique. La France ne peut pas seulement être un pays qui se bat pour défendre des valeurs, quand ce sont les autres qui récupèrent les marchés.» C’est que la Françafrique n’est, en fait, toujours pas enterrée et que la France entend ne plus se cantonner à son seul «pré carré».


Marché d’intérêt

En outre, l’Afrique, en voie de développement, tend à devenir également un marché d’intérêt. Certes, pour le moment, les marchés sont peu solvables compte tenu de la faiblesse du pouvoir d’achat sur le continent. Cependant, les Africains consomment et des produits importés concurrencent grandement des produits locaux. C’est le cas pour l’oignon blanc venu d’Europe qui prend la place de l’oignon rouge africain. Les Chinois également exportent de nombreux produits manufacturés à coûts les plus bas.

Pour autant, l’Afrique est bien le continent le plus pauvre du globe. Son mal-développement tient principalement au défaut de gouvernance que l’on retrouve dans de nombreux Etats – Guinée, Centrafrique, Zimbabwe, Tchad pour ne citer qu’eux. Mais c’est oublier aussi les forces de ce continent qui ne peut que prendre la voie du développement.

L’aide internationale et les programmes de coopération visent à soutenir les initiatives locales. On est, cependant, en droit de s’interroger sur la pertinence de certains programmes imposés par les institutions financières internationales. Le jeu de la Chine, et dans une moindre mesure celui de l’Inde en Afrique, ne doivent pas être vus comme une atteinte à la souveraineté des Etats d’Afrique. Mais davantage comme une atteinte aux intérêts occidentaux. L’Afrique regorge de richesses qu’il lui faudra apprendre à exploiter, de manière raisonnée et raisonnable, dans une perspective de durabilité. Les succès du continent sont trop vite occultés par les dérapages qu’il connaît. Malgré les difficultés – nombreuses ! – l’afro-pessimisme doit être battu en brèche. Sinon, le continent africain continuera à s’enfoncer dans ce trou que lui creuse son propre misérabilisme.


PROMOUVOIR L’INVESTISSEMENT

Dans un article d’Ernest Harsh dans «Afrique Renouveau», l’auteur s’intéresse à «la CNUCED [qui] a mené, avec une dizaine de pays africains, des “examens des politiques d’investissement”, pour recenser les inquiétudes des investisseurs, mettre en évidence les réformes prioritaires et mieux intégrer investissements et objectifs de développement nationaux.

Au Ghana, au Lesotho et en Ouganda, par exemple, ces examens ont fait ressortir l’importance de nouveaux investissements dans les secteurs de l’industrie légère et de l’agroalimentaire, tandis que Maurice, qui s’est déjà imposée dans ces secteurs, s’intéresse aux services financiers à haute valeur ajoutée. L’Ethiopie cherche à ce que les entreprises locales puissent bénéficier des projets d’investissement étrangers, soit à titre de fournisseurs ou de partenaires. Le Botswana, qui est depuis longtemps relativement attrayant pour les investisseurs étrangers, envisage actuellement de restreindre les IDE dans un certain nombre de secteurs d’activité en vue d’offrir de meilleurs débouchés aux entreprises du secteur privé local». C’est pourquoi les officiels plaident pour un soutien aux initiatives continentales et locales pour assainir le climat d’affaires. Ainsi, l’investissement privé dans de nouveaux secteurs devrait arriver. Corruption, défaut de paiement, insécurité, instabilité politique sont les principaux points faibles d’une Afrique où de nombreux hommes d’affaires souhaitent, malgré tout, investir.

LE PETROLE, OU LA MANNE AFRICAINE

Devant la fébrilité du marché des hydrocarbures, l’Afrique représente une manne pétrolière. Ainsi les Français sont déjà très présents au Gabon, au Congo Brazzaville et en Angola. Les Américains sont présents surtout en Guinée Equatoriale, en Angola également, au Nigeria et au Tchad. D’autres pays rentrent en scène : le Niger, le Mali et la Mauritanie pour ne citer qu’eux. Pour le moment, l’Afrique qui renferme près de 10 % des réserves mondiales de brut, ne produit que neuf millions de barils/jour, dont près de cinq millions dans le seul Golfe de Guinée. Clairement, ce sont principalement les hydrocarbures qui stimulent la croissance économique africaine (plus de 5 % l’an depuis 2000, certains pays affichant même des taux de croissance économique supérieurs à 8 %). «Les pays producteurs d’Afrique généreront entre 2002 et 2019, 350 milliards de dollars de revenus grâce au pétrole, c’est-à-dire plus que le PIB (Produit intérieur brut) actuel de la Russie et près du PIB total actuel de l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne», peut-on lire dans une étude du Fonds monétaire international de 2005. Cette projection prudente a été faite avec un baril à 25 US$ alors qu’il dépasse les 130 US$, aujourd’hui.


L’AFRIQUE UTILE

Les cours des autres matières premières prennent l’ascenseur. Ce dont peut profiter le continent africain car il dispose d’importants gisements de cuivre, manganèse, cobalt, zinc, platine, fer ou bauxite (la Guinée est, du reste, le 2e pays exportateur de bauxite). Reste que les filières sont, pour le moment, mal organisées, l’industrie de transformation faisant cruellement défaut. Le pari serait de réussir à investir localement dans ce type d’usines afin d’exporter ces matières avec une valeur ajoutée. Les investisseurs étrangers se tournent de plus en plus vers l’Afrique à cause des incertitudes qui secouent le marché mondial. Le montant des investissements directs étrangers (IDE) en Afrique a augmenté de 28 % entre 2002 et 2003, passant de 12 à 15 milliards de dollars. Malgré tout, l’Afrique n’a reçu que 8,7 % du total des IDE en direction des pays en développement, en 2003. Cela reste peu, même si une progression est notée. Les opportunités sont réelles. Pour l’heure, ce sont principalement les matières premières qui tiennent le haut du pavé.