La leçon sino-russe au monde en crise
Par Jean-Jacques Roth, Davos pour Le Temps
Le World Economic Forum s’est ouvert avec les discours successifs des premiers ministres chinois et russe. Ils désignent les responsables de la crise, Etats-Unis en tête, et proposent leurs remèdes.
Ce sera 8%. Le chiffre le plus attendu de ce début d’année est tombé de la bouche du premier ministre chinois Wen Jiabao, en ouverture du Forum économique de Davos où il a fait escale, après sa visite de travail à Berne (LT du 28.01.09) et dans le cadre d’une tournée dans plusieurs capitales européennes.
Huit pour cent de croissance chinoise en 2009, alors que le dernier trimestre 2008 n’a affiché que 6,8%, un chiffre qui a fait craindre un essoufflement fatal du dernier moteur économique mondial. Ces 8% représentent la fourchette haute que les observateurs espéraient sans trop y croire. L’objectif est pour Wen Jiabao «nécessaire et atteignable» même s’il demandera un «gros effort». Mais de premiers signes de réchauffement sont apparus en janvier, avec une augmentation de la consommation des ménages.
Confiance, donc. Cette ambition est à l’image du message délivré par le premier ministre, qui a vanté la santé de son système financier et longuement détaillé les mesures prises par son gouvernement depuis l’éclatement de la crise financière. Réformes structurelles, plan de relance, programmes sociaux, la Chine s’est attaquée aux symptômes de la crise comme à ses racines profondes, assure-t-il. Mais ce long catalogue administré par Wen Jiabao devant les 2500 participants du WEF est aussi une leçon au monde en crise, et au monde qui a généré la crise. Pour lui, celle-ci doit son origine à des «politiques macroéconomiques non appropriées» suivies par des pays consommant trop et n’épargnant pas assez, par des pays n’ayant pas assuré une bonne surveillance de leurs marchés financiers, par des pays dont les agences de notation n’ont pas fait leur travail. Suivez le doigt levé de Wen Jiabao: c’est évidemment aux Etats-Unis que revient la responsabilité du chaos. Alors que la Chine, par sa politique «active et responsable», contribuera à la «croissance et à la stabilité du monde»
Quelques heures plus tard, en ouverture cette fois officielle du Forum, le premier ministre russe Vladimir Poutine a, sur les origines de la crise, fait une analyse quelque peu différente. «On a tendance à concentrer les critiques sur les Etats-Unis, je ne le ferai pas», a-t-il dit. Et pour cause, puisque la Chine et les Etats-Unis forment, selon lui, le couple responsable du déséquilibre, avec d’un côté celui «qui imprime l’argent nécessaire à financer sa consommation excessive» et de l’autre celui qui «fabrique des produits bon marché et encaisse les devises».
Tout oppose l’impassibilité de Wen Jiabao à la tension de Vladimir Poutine, le discours structuré du premier et celui plus décousu du second. Le danger est pourtant le même pour les deux leaders: c’est le retour du protectionnisme pour Wen Jiabao, celui de l’isolationnisme pour Vladimir Poutine. Ils en appellent à «la modération», signe éloquent du risque de la voir s’effacer devant l’ampleur des pressions.
L’un et l’autre proposent leur catalogue de solutions, qui passent sans surprise par un renforcement de la régulation et de la surveillance du système financier mondial, de nouvelles plateformes de coopération internationale et une redistribution des pouvoirs au profit des économies émergentes. Vladimir Poutine y ajoute une mise en garde impérieuse à l’adresse des pays occidentaux acculés à apporter un soutien public à leur système bancaire en péril: il faut prendre garde à ne pas «s’ingérer dans la vie économique, à ne pas avoir une foi aveugle dans les pouvoirs de l’Etat». Rappelant ce que l’économie administrée a coûté à son pays, il regrette de voir à l’œuvre «une volonté de diluer l’esprit d’entreprise». Frisson dans la salle des «global leaders»: qui eût imaginé pareil discours il y a six mois encore?
Wen Jiabao et Vladimir Poutine se répondent encore avec deux proverbes. «C’est en tombant de l’arbre qu’on apprend à marcher», a dit le Chinois. «On se renforce en marchant», a dit le Russe. La crise est donc facteur d’opportunités, aussi. Mais si chacun s’accorde à demander un monde d’après-crise plus respectueux de l’écologie et des nouveaux pouvoirs, nul n’en dessine précisément les contours. Vladimir Poutine propose au surplus un système de sécurité énergétique mondial «entre tous les acteurs de la chaîne» afin d’établir une base normative et juridique qui permettrait d’éviter les crises récemment traversées, et de stabiliser les prix. «Ce serait une création aussi importante que la Communauté du charbon et de l’acier», précurseur de la Communauté européenne. Il exige enfin une moindre dépendance vis-à-vis du dollar et un meilleur contrôle des critères d’émission de la principale monnaie de réserve.
Et le président Barack Obama? Absent de Davos, il aura entendu Vladimir Poutine se réjouir de travailler avec lui – et au moment où il s’exprimait à Davos, la Russie annonçait qu’elle différait le déploiement de missiles à Kaliningrad pour saluer le changement d’attitude de la nouvelle administration américaine. Wen Jiabao a, lui, souligné avec moins d’effusion que «le maintien des bonnes relations entre la Chine et les Etats-Unis sont dans l’intérêt du monde». Tout reste à faire.
Le World Economic Forum s’est ouvert avec les discours successifs des premiers ministres chinois et russe. Ils désignent les responsables de la crise, Etats-Unis en tête, et proposent leurs remèdes.
Ce sera 8%. Le chiffre le plus attendu de ce début d’année est tombé de la bouche du premier ministre chinois Wen Jiabao, en ouverture du Forum économique de Davos où il a fait escale, après sa visite de travail à Berne (LT du 28.01.09) et dans le cadre d’une tournée dans plusieurs capitales européennes.
Huit pour cent de croissance chinoise en 2009, alors que le dernier trimestre 2008 n’a affiché que 6,8%, un chiffre qui a fait craindre un essoufflement fatal du dernier moteur économique mondial. Ces 8% représentent la fourchette haute que les observateurs espéraient sans trop y croire. L’objectif est pour Wen Jiabao «nécessaire et atteignable» même s’il demandera un «gros effort». Mais de premiers signes de réchauffement sont apparus en janvier, avec une augmentation de la consommation des ménages.
Confiance, donc. Cette ambition est à l’image du message délivré par le premier ministre, qui a vanté la santé de son système financier et longuement détaillé les mesures prises par son gouvernement depuis l’éclatement de la crise financière. Réformes structurelles, plan de relance, programmes sociaux, la Chine s’est attaquée aux symptômes de la crise comme à ses racines profondes, assure-t-il. Mais ce long catalogue administré par Wen Jiabao devant les 2500 participants du WEF est aussi une leçon au monde en crise, et au monde qui a généré la crise. Pour lui, celle-ci doit son origine à des «politiques macroéconomiques non appropriées» suivies par des pays consommant trop et n’épargnant pas assez, par des pays n’ayant pas assuré une bonne surveillance de leurs marchés financiers, par des pays dont les agences de notation n’ont pas fait leur travail. Suivez le doigt levé de Wen Jiabao: c’est évidemment aux Etats-Unis que revient la responsabilité du chaos. Alors que la Chine, par sa politique «active et responsable», contribuera à la «croissance et à la stabilité du monde»
Quelques heures plus tard, en ouverture cette fois officielle du Forum, le premier ministre russe Vladimir Poutine a, sur les origines de la crise, fait une analyse quelque peu différente. «On a tendance à concentrer les critiques sur les Etats-Unis, je ne le ferai pas», a-t-il dit. Et pour cause, puisque la Chine et les Etats-Unis forment, selon lui, le couple responsable du déséquilibre, avec d’un côté celui «qui imprime l’argent nécessaire à financer sa consommation excessive» et de l’autre celui qui «fabrique des produits bon marché et encaisse les devises».
Tout oppose l’impassibilité de Wen Jiabao à la tension de Vladimir Poutine, le discours structuré du premier et celui plus décousu du second. Le danger est pourtant le même pour les deux leaders: c’est le retour du protectionnisme pour Wen Jiabao, celui de l’isolationnisme pour Vladimir Poutine. Ils en appellent à «la modération», signe éloquent du risque de la voir s’effacer devant l’ampleur des pressions.
L’un et l’autre proposent leur catalogue de solutions, qui passent sans surprise par un renforcement de la régulation et de la surveillance du système financier mondial, de nouvelles plateformes de coopération internationale et une redistribution des pouvoirs au profit des économies émergentes. Vladimir Poutine y ajoute une mise en garde impérieuse à l’adresse des pays occidentaux acculés à apporter un soutien public à leur système bancaire en péril: il faut prendre garde à ne pas «s’ingérer dans la vie économique, à ne pas avoir une foi aveugle dans les pouvoirs de l’Etat». Rappelant ce que l’économie administrée a coûté à son pays, il regrette de voir à l’œuvre «une volonté de diluer l’esprit d’entreprise». Frisson dans la salle des «global leaders»: qui eût imaginé pareil discours il y a six mois encore?
Wen Jiabao et Vladimir Poutine se répondent encore avec deux proverbes. «C’est en tombant de l’arbre qu’on apprend à marcher», a dit le Chinois. «On se renforce en marchant», a dit le Russe. La crise est donc facteur d’opportunités, aussi. Mais si chacun s’accorde à demander un monde d’après-crise plus respectueux de l’écologie et des nouveaux pouvoirs, nul n’en dessine précisément les contours. Vladimir Poutine propose au surplus un système de sécurité énergétique mondial «entre tous les acteurs de la chaîne» afin d’établir une base normative et juridique qui permettrait d’éviter les crises récemment traversées, et de stabiliser les prix. «Ce serait une création aussi importante que la Communauté du charbon et de l’acier», précurseur de la Communauté européenne. Il exige enfin une moindre dépendance vis-à-vis du dollar et un meilleur contrôle des critères d’émission de la principale monnaie de réserve.
Et le président Barack Obama? Absent de Davos, il aura entendu Vladimir Poutine se réjouir de travailler avec lui – et au moment où il s’exprimait à Davos, la Russie annonçait qu’elle différait le déploiement de missiles à Kaliningrad pour saluer le changement d’attitude de la nouvelle administration américaine. Wen Jiabao a, lui, souligné avec moins d’effusion que «le maintien des bonnes relations entre la Chine et les Etats-Unis sont dans l’intérêt du monde». Tout reste à faire.