dimanche 4 novembre 2007

L’Europe doit favoriserle développement en Afrique

Par Kader Arif, Thijs Berman, Harlem Désir et Alain Hutchinson députés européens (PSE)
Lundi 1 novembre 2007, LIBERATION

C'est avec consternation que nous avons découvert, dans Libération, le 26 octobre dernier, un article de Messieurs Mandelson et Michel, commissaires européens, réagissant à une analyse développée quelques jours plus tôt dans le même journal par M. Jean Ziegler («L’Europe favorise la faim en Afrique»).

S’il s’agit de rétablir la vérité, comme prétendent le faire les deux commissaires européens au Commerce et au Développement, il est de notre responsabilité, en tant que députés socialistes européens travaillant sur ces questions, de la rétablir complètement.

La politique de l’UE envers les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), telle que prévue par l’accord de Cotonou et avant cela par les accords de Lomé, a toujours eu pour objectif principal le développement. Entre autres dispositions de ces accords, le volet commercial devait favoriser l’insertion des pays ACP dans l’économie mondiale. Aujourd’hui, force est de constater que cet objectif n’a pas été atteint.

Malgré l’accès privilégié au marché européen dont bénéficient les pays ACP, leur part dans les importations de l’UE n’a cessé de diminuer, passant de 6,7 % en 1976 à 3 % seulement en 2002. Face à ce constat d’échec, nous soutenons qu’il est indispensable de donner un nouvel élan à notre partenariat avec les pays ACP : leur donner les moyens de diversifier réellement leur économie, leur laisser le temps de renforcer leurs marchés et leur compétitivité dans le cadre de rapprochements régionaux, leur apporter l’appui nécessaire pour développer leurs politiques sociales et environnementales. Cela revient, comme le prévoit l’accord de Cotonou, à négocier des accords de partenariat économique (APE) équitables et équilibrés, réellement axés sur le développement et ne se limitant pas à des considérations purement commerciales.

L’approche de la Commission européenne est tout autre. En effet, les APE qu’elle est en train de négocier ont pour principale caractéristique d’instaurer le principe de réciprocité des préférences commerciales. En d’autres termes, pour que les pays ACP continuent de profiter d’un accès privilégié au marché européen, ils devront eux aussi s’ouvrir aux exportations européennes. En s’exposant ainsi à une mise en concurrence non maîtrisée avec des produits européens beaucoup plus compétitifs, des pans entiers des économies des pays ACP risquent d’être bouleversés, et notamment leur agriculture, comme le rappelait M. Ziegler.

Face à cette critique, M. Mandelson invoque les règles de l’OMC et soutient que, si de tels accords ne sont pas signés avant le 1er janvier 2008, l’UE se retrouvera en situation de violation des règles du commerce mondial. Ce n’est pas faux, pour peu qu’il ait l’honnêteté de reconnaître que l’OMC n’exige pas plus qu’un accord sur le commerce des marchandises et que, même dans ce seul cadre, rien n’empêche l’UE de faire preuve de flexibilité et d’en défendre le principe à l’OMC. Il est par contre scandaleux que la Commission insiste pour intégrer dans les APE des dispositions sur le commerce des services, sur les règles d’investissement et sur les marchés publics, qui ne sont en aucun cas des exigences de l’OMC et qui, si elles servent les intérêts offensifs européens, ne feront que déstabiliser davantage les économies vulnérables des pays ACP.

Imposer la libéralisation des services, c’est prendre le risque de fragiliser le développement de secteurs naissants et prometteurs dans les pays ACP et de voir ces Etats dépossédés de leur capacité à gérer des services publics essentiels, notamment en matière de santé, d’éducation, d’accès à l’eau potable, d’énergie, etc. Imposer la libéralisation des règles sur les investissements ou les marchés publics, c’est priver les pays ACP de leur droit souverain à réguler les conditions d’arrivée des entreprises étrangères sur leurs marchés.

Comment réagirait l’UE si les Etats-Unis venaient lui dicter ses réglementations en matière de passation de marchés publics, ou inversement si l’UE s’opposait au Small Business Act américain ? Une telle ingérence dans la souveraineté d’un autre pays ne serait pas tolérée. Aujourd’hui, si la Commission s’est résignée à signer d’ici à la fin de l’année des APE ne portant «que» sur le commerce des biens, elle intégrera à ces accords des «clauses de rendez-vous» et des dispositions contraignantes sur la poursuite des négociations dans ces domaines controversés. Et, pour les pays ACP qui n’accepteraient pas de conclure des accords pleins et entiers ou qui ne s’engageraient pas dès maintenant dans cette voie, c’est la menace de se retrouver dans une situation plus défavorable que fait planer le commissaire Mandelson.

Une telle menace est inadmissible non seulement sur le fond, car aujourd’hui rien n’oblige les pays ACP à négocier sur ces sujets, mais également sur la forme, car ces négociations se déroulent dans un climat incompatibleavec la relation de partenariat historique qui nous lie. L’Europe est perçue comme cherchant à imposer à tout prix des zones de libre-échange à des pays parmi les plus pauvres du monde, et à ses conditions. A trop faire fi des demandes de nos partenaires, la Commission a gâché des mois, voire des années, de négociations qui ont engendré tensions et incompréhensions, et a mis en péril l’image et la crédibilité de l’UE dans ces pays. Il n’est pas trop tard pour reprendre les négociations sur des bases nouvelles – celles dont nous n’aurions jamais dû nous écarter – pour répondre enfin aux inquiétudes légitimes des pays ACP et de la société civile. C’est cette vision et cette méthode que défendent les socialistes au Parlement européen.