Des milliers de planteurs menacés par la délocalisation industrielle
Voici une vue partielle de la nouvelle carte de la production sucrière qui peut être exportée sur le marché européen. Manque le Zimbabwe, qui pense pouvoir exporter 150.000 tonnes en Europe d’ici deux ans.
- Avant que l’Organisation mondiale du commerce ne vienne remettre en cause l’organisation du marché du sucre en Europe, voilà quelle était la situation dans notre région.
Depuis que l’Organisation mondiale du commerce fixe le cap idéologique de la mondialisation, l’Union européenne a plusieurs fois été attaquée pour l’organisation de ces marchés, et a donc été mise en demeure de les adapter aux règles du marché unique mondial.
Cette adaptation se fait en plusieurs étapes.
Pour La Réunion et les autres régions de l’Union européenne, le règlement sucrier actuellement en vigueur est une première brèche dans le système des prix et quotas garantis. En effet, le prix garanti du sucre a diminué de plus de 30%. À titre compensatoire pour les DOM, l’Union européenne verse une subvention aux usiniers. Ce régime sera rediscuté d’ici 2014. À cette date entrera en vigueur un nouveau règlement sucrier européen sur lequel les incertitudes sont nombreuses, tout peut être remis en cause. Ce réglement devra en effet tenir compte des nouvelles règles fixées par l’OMC après la clôture du cycle dit de Doha. Dans ces discussions, la Commission européenne a mis dans la balance la suppression de la quasi-totalité des subventions versées aux agriculteurs. Quid des subventions versées aux usiniers et aux planteurs ?
Plus de quota ni prix garanti à Maurice
Pour les partenaires de l’Union européenne, les quotas et prix garantis, c’est déjà fini. En 2001, l’Union européenne lance l’initiative "Tout sauf les armes" qui ouvre le marché européen à tous les produits fabriqués sur les territoires des États du groupe des PMA, dont la Tanzanie, le Mozambique et Madagascar. Seules exceptions à part les armes : le riz, la banane et le sucre. Pour le sucre, l’exception prend fin progressivement pour une ouverture du marché européen cette année. Donc le sucre fabriqué au Soudan, en Ethiopie ou en Tanzanie peut être vendu en Europe.
L’an dernier, l’Union européenne a dénoncé le Protocole Sucre qui concernait les producteurs des pays ACP. Brutalement, des pays comme Maurice sont désormais en concurrence directe avec les producteurs des PMA sur le sucre. Mais depuis plusieurs années, Maurice avait anticipé cette échéance en créant les conditions pour ne plus produire à Maurice du sucre en vrac, mais uniquement du sucre à plus forte valeur ajoutée : sucre blanc et sucres spéciaux. Cette restructuration s’accompagne d’une concentration : plus que trois usines pour produire au moins 400.000 tonnes de sucre.
Les industriels s’adaptent
A mis parcours du règlement sucrier, force est de constater que bien qu’ils soient encore protégés par des règles dérogatoires à celle de l’OMC, les industriels sont pleinement engagés dans la construction de cette nouvelle carte de la production sucrière découlant des règles du "droit commun" de l’OMC.
On a tout d’abord vu l’arrivée à La Réunion d’un des plus gros producteurs mondiaux, Téréos. Cette coopérative de planteurs de betteraves a acheté la majorité des actions de Bois-Rouge. Et elle a également investi au Mozambique dans la modernisation d’une usine qui peut désormais vendre du sucre sans quota ni droit de douane en Europe.
On a également les industriels mauriciens qui anticipent. Ils continueront à produire du sucre roux, mais pas à Maurice. C’est le sens de l’alliance qu’ils ont noué avec Téréos au Mozambique et avec un usinier réunionnais en Tanzanie, dans Tanganiyka Plantation Company.
Ce dernier partenariat montre que désormais, un usinier réunionnais produisant du sucre à La Réunion fabrique aussi du sucre en Tanzanie. Outre le marché domestique, ce sucre tanzanien peut être vendu en Europe, comme le sucre réunionnais. Et les coûts de production sont bien plus faibles en Tanzanie.
Délocalisation en Tanzanie ?
Du fait de l’exemple mauricien, une question se pose : les industriels réunionnais envisagent-ils de délocaliser leur production de sucre roux en Tanzanie ?
Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que depuis trois semaines, la filière s’est habituée à ne vivre qu’avec une seule usine. Or, une seule usine suffirait si une telle hypothèse se vérifiait.
Le hasard de l’Histoire, c’est que l’incendie qui est le responsable de cette situation a eu lieu le week-end où l’Union européenne et les pays de la région signaient l’accord de partenariat économique intermédiaire. Cet accord ouvre le marché réunionnais à tous les produits sauf à un produit de la canne, le sucre.
À la lumière de ce nouveau contexte, une nouvelle situation apparaît. Pour une durée limitée, l’usinier est assuré de ne pas avoir de concurrent pour la vente de sucre à La Réunion. Il a aussi développé depuis plusieurs années la fabrication de sucres spéciaux qui échappent pour le moment à la concurrence des pays à plus faible coût de main d’œuvre. Ce sont donc deux "niches" où il peut continuer à prospérer.
En conclusion, les nouvelles règles du commerce mondial et les décisions stratégiques prises ces dernières années amènent à se demander si l’hypothèse suivante pourrait se concrétiser : délocalisation partielle de l’industrie sucrière en Tanzanie pour produire du sucre en vrac, concentration de ce qui reste à La Réunion afin produire uniquement pour le marché domestique et les sucres spéciaux. Mais cette nouvelle concentration ne nécessiterait que le fonctionnement d’une seule usine. Car les sucres spéciaux, ce sont aujourd’hui moins de 100.000 tonnes.
Pour illustrer cette explication, voici deux cartes : avant la remise en cause de marché sucrier de l’Europe par l’OMC et aujourd’hui.