lundi 3 décembre 2007

Les vraies raisons des nouveaux Accords de partenariat économique

Kadialy GASSAMA, Le Quotidien (Senegal), 01/12/2007

Depuis les années 70, les accords commerciaux Communauté économique européenne (Cee) - Afrique, Caraïbe, Pacifique (Acp), issus des différentes conventions de Lomé, avaient tenu compte des impératifs de développement économique des Pays moins avancés (Pma) en permettant l’accès libre de leurs produits dans les marchés européens sans réciprocité.

Dans le discours politique, le différentiel des niveaux de développement entre les deux groupes régionaux semblait être le facteur explicatif principal de l’application en faveur des Pma de la clause de la nation la plus favorisée dérogatoire des règles de l’Organisation mondiale du commerce (Omc) sur le libre échangisme intégral.

Les accords de Cotonou de 2000 et les nouveaux accords actuellement en négociation préconisent le démantèlement tarifaire progressif et, de ce fait, invalide la prise en compte des impératifs de développement des Pma au profit de la seule considération des normes commerciales strictes. En clair, pour continuer de bénéficier d’exemption de taxes, les Acp devraient, à leur tour, ouvrir sans restriction leurs marchés aux exportations européennes, tout au moins, parvenir à un accord à minima autour de 80% de réduction des droits de douane à court terme.

En réalité, depuis les accords de Cotonou en 2000, l’Ue cherche à revisiter les relations traditionnelles qui les ont toujours liées aux Pma dans le sens d’une suppression des avantages liés à la clause de la Nation la plus favorisée. C’est ainsi que certains mécanismes de compensation, comme le Stabex pour les produits agricoles et le Sysmin pour les mines, ont été supprimés et, de nos jours, il est envisagé un désarmement douanier total des pays Acp leur privant du coup d’importants moyens financiers.

Les accords Cee-Acp étaient guidés à l’origine par le double souci des Européens de tenir compte des niveaux inégaux de développement et de la volonté d’aménager une zone d’influence économique préférentielle constituant une chasse gardée afin de lever le défi concurrentiel américain. Toutefois, à la volonté de juguler la concurrence américaine s’est ajouté, vers la fin des années 90, de nouveaux défis économiques nécessitant des changements d’orientation par suite de la montée fulgurante de nouvelles puissances industrielles mondiales (Chine, Brésil, Inde). Il faut dire qu’avec l’apparition de nouveaux pôles industriels d’une formidable capacité qui ont l’avantage de développer une meilleure productivité du travail pouvant entraîner un effet déflationniste sur les prix, l’Ue et les Etats-Unis entreprennent de développer des politiques protectionnistes qui ne disent pas leur nom pour protéger leurs parts de marché menacées face à la montée industrielle de nouvelles puissances économiques mondiales. Face aux mouvements internationaux de marchandises, les barrières peuvent être tarifaires, non tarifaires ou les deux en même temps. Les barrières non tarifaires concernent les restrictions administratives sur les règles d’origine, les normes sanitaires et phytosanitaires, la propriété intellectuelle, les investissement et les marchés publics qui ne s’appuient pas sur la levée de taxes, mais qui sont aussi, sinon plus déterminants. C’est dire que le libre échangisme préconisé s’identifie réellement à un protectionnisme caché qui permet aux pays du Nord de s’appuyer sur des leviers non tarifaires assez prohibitifs pour un accès libre de produits étrangers dans leurs marchés.

D’ailleurs, nous pouvons bien comprendre, à ce titre, le refus jusqu’à nos jours des Etats-Unis de ratifier le traité de Kyoto et d’intégrer les normes environnementales dans les règles de l’Omc. L’exigence de conservation des parts internationales de marché face aux mouvements de mondialisation économique avec l’entrée en scène de nouvelles puissances industrielles ont fait réagir l’oligarchie des pays riches vers la constitution de grands ensembles économiques contrôlés par les Etats-Unis pour les Etats Américains (la Zlea) et l’Europe pour les Etats Ue-Acp et méditerranéens (l’Euromed), c’est à dire à un nouveau partage du monde en zones d’influences économiques suivant les changements de paradigme. Le principe de non-discrimination qui permettait, cependant, l’entente douanière depuis la fin de la deuxième guerre mondiale avec l’Accord Général sur les droits de douanes et tarifs (Gatt) va être abandonné au profit d’un libre échangisme afin de permettre la constitution de grands ensembles économiques réservés (zone d’influence) pour la conservation des parts de marché. Ces grands ensembles permettront la mise en place d’un espace économique à dimension inter continentale dans le but de lever des barrières non tarifaires pour se protéger de l’assaut commercial des pays tiers. Dans ce recadrage des relations économiques internationales, la question fondamentale est de savoir quel est le sort des Pma à l’intérieur de ces grands ensembles économiques régionaux dans lesquels il est envisagé un commerce libre intra zone (Alena, Euromed, Ue-Acp) ?

Loin de stimuler automatiquement le développement économique des Pays moins avancés tel que indiqué dans le nouveau discours politique, le libre échangisme intégral impliquant la suppression totale des barrières tarifaires des Pma favorise les pays développés à plus grande productivité du fait de l’avance technique, technologique et financier. La croissance des échanges à l’intérieur des zones consécutivement à la libéralisation va accroître la part des marchés des pays les plus développés tout en fragilisant les structures de production des pays les moins développés réduits en consommateurs éternels. En plus de l’effet réducteur sur la production des Pma, il y a aussi l’effet suppression des taxes à l’entrée, privant du coup d’importants moyens financiers pour des Etats comme le Sénégal, dont le déficit commercial reste accentué. Le libre échangisme ne peut fonctionner correctement que dans une zone d’intégration parfaite des marchés, en ce qu'elle permet une liberté de circulation des flux de main-d’œuvre et des capitaux en plus de l’harmonisation des législations internes à l'instar de l'Ue. Or, dans l’espace Ue-Acp, le traité de Maastricht interdit la libre circulation des personnes (immigration clandestine) en dépit du projet de constitution d’une zone économique commune avec le désarmement tarifaire préconisé.

Les Etats développés du Nord, qui furent des champions du protectionnisme durant la longue période pendant laquelle ils dominèrent industriellement le monde, vont jeter l’échelle en sacrifiant les Pma sous l’autel d’un libre échangisme qui n’est que de nom pour la conservation de leurs parts de marchés afin de résister au nouveau défi économique de la Chine, de l’Inde et du Brésil, réduisant ainsi les pays pauvres en consommateurs éternels. Les impacts potentiels de tels accords s’annoncent dramatiques pour les Acp, au vu de l’impossibilité de la mise en concurrence d’économies très inégales ne pouvant commercer équitablement.

La signature des Ape au 31 décembre 2007 constituera, pour les pays pauvres, un troisième choc qui, d’avantage, renforcera les difficultés après les chocs pétrolier et alimentaire. Aussi, doit-il être envisagé la menace d’un départ en masse des pays du Sud de l’Omc en vue de la création d’un organe multilatéral de coopération commerciale Sud-Sud à défaut de l’instauration d’un commerce équitable Nord-Sud.