Jean-Marie Bockel: "Le partenariat au service du développement"
Le débat engagé aujourd’hui sur la question des accords de partenariat économique (APE), et dont témoignent en particulier les dernières tribunes de Jean Ziegler et du président Wade, est salutaire. Les constats de M. Ziegler sont justes : les capacités théoriques de production agricole mondiale pourraient nourrir 12 milliards d’individus, néanmoins 854 millions de personnes à travers le monde souffrent de la faim. Cette situation préexiste aux APE, puisqu’ils ne sont pas encore signés...
Pour combattre ces phénomènes inacceptables, 191 pays ont adopté le 8 septembre 2000 la Déclaration du millénaire et les huit objectifs correspondants (OMD). Figure au premier rang la réduction d’ici à 2015 de la proportion de la population qui souffre de la faim.
Pour gagner ce combat de manière pérenne, un ensemble d’actions simultanées et de long terme est à mettre en oeuvre : santé, planning familial, éducation et formation professionnelle, facilitation des migrations saisonnières ou définitives vers des zones plus productives, désenclavement, stabilisation des prix des produits agricoles, adaptation des conditions de crédit (taux, durée,...), banques de céréales, stockage et utilisation de l’eau, restauration des sols, intensification et diversification de l’agriculture et de l’économie, sécurisation foncière, etc.
Malgré les accords commerciaux précédents, nombre de pays en développement n’ont pu profiter des ouvertures privilégiées qui leur étaient offertes, notamment pour des raisons structurelles, que le président Wade a évoquées : infrastructures défaillantes, crédit aux entreprises absent ou très cher, capacités humaines insuffisantes en quantité et en qualification, technologies anciennes et peu performantes. Alors, que peuvent apporter les accords de partenariat economique ?
Rappelons que ces accords ne seront pas seulement adossés à un volet commercial, mais devront comporter un volet "accompagnement" qui permette un investissement massif dans l’environnement technique et financier des petites et moyennes entreprises et des exploitations agricoles. Cet investissement sera complémentaire de celui que les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) réaliseront, notamment les pays africains qui ont pris dans le cadre de l’Union africaine l’engagement d’affecter au minimum 10% du budget de l’État à leur secteur agricole. Ce dernier investissement ne sera rendu possible que si, simultanément, une plus grande cohérence est assurée dans les pays ACP entre politique macroéconomique et politique sectorielles.
Soulignons ensuite que les processus de libéralisation, contenus dans le volet commercial des APE, prennent en compte les inégalités des termes de l’échange et intègrent à ce titre de multiples dérogations. Concrètement, la négociation doit permettre aux pays ACP d’obtenir la protection de nombreux produits sensibles (céréales, lait, produits de l’élevage et de maraîchage...), de longues périodes de transition pour le démantèlement et des appuis renouvelés à leurs secteurs d’exportation.
Face à l’échec partiel des accords commerciaux UE-ACP sous leur forme actuelle, ces accords doivent favoriser investissements et croissance partagée dans les économies du Sud. L’intégration régionale, nécessaire étape vers une meilleure intégration au marché mondial, est aujourd’hui le vrai défi et la vraie chance des pays ACP. Le succès des APE dépendra également de l’association des milieux professionnels à leur élaboration et leur mise en oeuvre, ce qui suppose inévitablement des délais supplémentaires de négociation dans plusieurs régions.
En toute hypothèse, dans l’attente de ces APE complets, et conformément aux accords de Cotonou, le régime commercial proposé aux pays ACP à partir du 1er janvier 2008 ne saurait être moins favorable que l’actuel. Loin des logiques de charité et d’assistance, les APE doivent contribuer, par petits pas, à faire des pays aujourd’hui les moins avancés des acteurs économiques de plein exercice. Au-delà des oppositions idéologiques, reconnaissons que, sans en être le facteur principal, le commerce, en incitant à l’activité et en permettant à chacun d’avoir les moyens d’être debout, constitue bien l’un des moteurs du développement.