L'UE pourrait revoir ses ambitions à la baisse
David CRONIN, BRUXELLES , 30 oct (IPS)
A deux mois de la date limite fixée par l'Union européenne (UE) pour la conclusion des nouveaux accords de libre-échange avec quelques-uns des pays les plus pauvres au monde, l'UE admet qu'elle devra sans doute revoir ses ambitions à la baisse.
En conséquence, la plupart des "Accords de partenariat économique (APE)", qu'elle espère conclure d'ici au 31 décembre avec les quelque 80 pays du bloc Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), ne se limiteront qu'au commerce des marchandises. Les autres questions, relatives notamment à la libéralisation des services, aux nouvelles règles en matière d'investissement ou de concurrence seront remises à plus tard.
Le 22 octobre dernier, le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, annonçait que la plupart des APE ne concerneraient que le commerce des marchandises. Cette déclaration faisait suite à une série d'avertissements, lancés à l'adresse de l'UE, estimant que les pays africains n'étaient pas encore prêts au libre-échange.
Plusieurs gouvernements européens -- dont la Grande-Bretagne -- ont également insisté auprès de Mandelson (qui est d'origine britannique) pour que les négociations en vue de ces nouveaux arrangements ne soient pas "surchargées" de thématiques.
Toutefois, des militants de la lutte contre la pauvreté et des industriels africains n'ont pas vraiment le sentiment que le commissaire européen est devenu plus "réceptif" qu'avant à leurs arguments.
A titre d'exemple, ils rappellent que, deux jours après cette annonce, la Commission européenne rejetait la proposition émise par différents gouvernements d'Afrique centrale. Les huit pays qui négocient pour cette région se sont vus signifier que les prochains pourparlers, fixés pour le 29 octobre, devraient se poursuivre sur la base du document préparatoire rédigé par l'UE.
Les Etats d'Afrique centrale proposaient que les barrières douanières sur les produits européens exportés vers leurs marchés soient réduites de 60 pour cent, mais l'UE a insisté sur le fait qu'une réduction de 80 pour cent au cours des 15 années à venir serait "un strict minimum".
Devant le Parlement européen, Mandelson a estimé qu'une plus longue période de transition, comme prônée par les pays ACP, "ne mènerait nulle part" vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), vu qu'elle entrerait en contradiction avec ses règles. L'une des clauses de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui a mené à la création de l'OMC, prévoit que tous les marchés à l'exportation devront "être substantiellement libéralisés" à la suite de la conclusion de nouveaux arrangements commerciaux.
Ce terme "substantiellement" fait aujourd'hui débat dans la pratique.
Pour Martin Abéga, porte-parole de l'Union des employeurs d'Afrique centrale (UNIPACE), le commissaire européen doit apporter les preuves de ce qu'il avance. "Discutons et négocions avec l'OMC", lance-t-il. "Sur quels documents se base Peter Mandelson pour affirmer ce qu'il prétend?", s'interroge-t-il.
Au moins cinq des huit pays du groupe Afrique centrale engagés dans ces négociations des APE sont considérés par les Nations Unies comme "moins avancés". Selon l'ONU, ils peuvent profiter du système "Tout sauf des armes", même s'ils ne signent pas un accord de libre-échange. Ce programme permettrait à leurs exportations d'entrer en Europe sans quota ou droit de douanes.
Mais Mandelson a déjà menacé les trois pays considérés comme les moins pauvres du groupe -- le Cameroun, le Gabon et le Congo -- d'imposer des tarifs punitifs s'ils ne signent pas d'APE. Cette mesure les priverait d'au moins 350 millions d'euros (503 millions de dollars) de ressources annuelles, selon une étude publiée récemment par l'organisation "Christian Aid".
Offrir aux denrées en provenance de ces pays un traitement de faveur, en l'absence d'un accord de libre-échange, entrerait en contradiction avec les règles de l'OMC, déclare Mandelson. Le système préférentiel, qui couvre les denrées en provenance des pays ACP depuis 2000, doit expirer avant le début de l'année prochaine.
Mandelson rappelle aussi régulièrement que le système préférentiel offert aux producteurs de bananes, par exemple, a déjà été remis en cause par les pays d'Amérique centrale et d'Amérique latine, ce qui laisse croire qu'ils pourraient dénoncer d'autres traitements préférentiels qu'ils estiment discriminatoires à leur égard.
Abéga n'est pas impressionné par la problématique des bananes soulevée par le commissaire. "En affirmant cela, Mandelson tente de créer des divergences au sein de nos pays", dit-il. "Seul un pays d'Afrique centrale, le Cameroun, est producteur de bananes. Les bananes sont certes importantes pour notre économie, mais elles ne représentent pas toute l'économie". L'Amérique centrale n'est pas une cible privilégiée pour les exportateurs de l’UE. Les entreprises européennes témoignent déjà un intérêt croissant pour d'autres régions du continent.
Les pays ACP représentent plus de la moitié des exportations européennes de fleurs, par exemple. Soucieux de leur expansion, des producteurs de fleurs européens s'inquiètent déjà de tarifs de l'ordre de 50 pour cent s'ils vendent vers l'Afrique de l'ouest et exigent de la commission qu'elle revoie cette taxe à la baisse.
Pendant ce temps, les exportations de fruits et de légumes d'Europe vers l'Afrique du Sud ont augmenté de plus de 100 pour cent entre 1995 et 2005, celles de chocolat de près de 40 pour cent.
Paul Goodison, du réseau "European Research Office", qui suit de près le commerce entre l'UE et l'Afrique, estime de son côté que les pays ACP devront être en mesure de protéger certains secteurs importants face aux flux de produits européens importés. Selon lui, ces mesures devront être prises sur le long terme, mais la Commission européenne n'a l'intention de les autoriser que pour deux ou trois ans.
"Il y a clairement une offensive intéressée de la part de l'UE dans les négociations en vue des APE par rapport aux denrées et aux produits agricoles", affirme Goodison. "Etant donné l'inégalité en terme de taille entre l'UE et les économies de chaque pays ACP -- une cargaison en provenance de l'UE peut parfois représenter l'entière consommation annuelle d'un produit -- la commission doit se montrer davantage flexible au sujet des mesures de protection".
Jacob Kotcho, du groupe de pression ACDIC au Cameroun, accuse la Commission européenne de "mauvaise foi", car elle ne prend pas sérieusement en compte les préoccupations des Africains.
"Les marchés européens ont été ouverts aux produits africains durant de nombreuses années, mais ces pays n'ont pas pu en bénéficier", dit-il. "Si nous voulons que le commerce soit au service du développement, nous devons renforcer nos capacités. Une période de transition nous permettrait de le faire".
A deux mois de la date limite fixée par l'Union européenne (UE) pour la conclusion des nouveaux accords de libre-échange avec quelques-uns des pays les plus pauvres au monde, l'UE admet qu'elle devra sans doute revoir ses ambitions à la baisse.
En conséquence, la plupart des "Accords de partenariat économique (APE)", qu'elle espère conclure d'ici au 31 décembre avec les quelque 80 pays du bloc Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), ne se limiteront qu'au commerce des marchandises. Les autres questions, relatives notamment à la libéralisation des services, aux nouvelles règles en matière d'investissement ou de concurrence seront remises à plus tard.
Le 22 octobre dernier, le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, annonçait que la plupart des APE ne concerneraient que le commerce des marchandises. Cette déclaration faisait suite à une série d'avertissements, lancés à l'adresse de l'UE, estimant que les pays africains n'étaient pas encore prêts au libre-échange.
Plusieurs gouvernements européens -- dont la Grande-Bretagne -- ont également insisté auprès de Mandelson (qui est d'origine britannique) pour que les négociations en vue de ces nouveaux arrangements ne soient pas "surchargées" de thématiques.
Toutefois, des militants de la lutte contre la pauvreté et des industriels africains n'ont pas vraiment le sentiment que le commissaire européen est devenu plus "réceptif" qu'avant à leurs arguments.
A titre d'exemple, ils rappellent que, deux jours après cette annonce, la Commission européenne rejetait la proposition émise par différents gouvernements d'Afrique centrale. Les huit pays qui négocient pour cette région se sont vus signifier que les prochains pourparlers, fixés pour le 29 octobre, devraient se poursuivre sur la base du document préparatoire rédigé par l'UE.
Les Etats d'Afrique centrale proposaient que les barrières douanières sur les produits européens exportés vers leurs marchés soient réduites de 60 pour cent, mais l'UE a insisté sur le fait qu'une réduction de 80 pour cent au cours des 15 années à venir serait "un strict minimum".
Devant le Parlement européen, Mandelson a estimé qu'une plus longue période de transition, comme prônée par les pays ACP, "ne mènerait nulle part" vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), vu qu'elle entrerait en contradiction avec ses règles. L'une des clauses de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui a mené à la création de l'OMC, prévoit que tous les marchés à l'exportation devront "être substantiellement libéralisés" à la suite de la conclusion de nouveaux arrangements commerciaux.
Ce terme "substantiellement" fait aujourd'hui débat dans la pratique.
Pour Martin Abéga, porte-parole de l'Union des employeurs d'Afrique centrale (UNIPACE), le commissaire européen doit apporter les preuves de ce qu'il avance. "Discutons et négocions avec l'OMC", lance-t-il. "Sur quels documents se base Peter Mandelson pour affirmer ce qu'il prétend?", s'interroge-t-il.
Au moins cinq des huit pays du groupe Afrique centrale engagés dans ces négociations des APE sont considérés par les Nations Unies comme "moins avancés". Selon l'ONU, ils peuvent profiter du système "Tout sauf des armes", même s'ils ne signent pas un accord de libre-échange. Ce programme permettrait à leurs exportations d'entrer en Europe sans quota ou droit de douanes.
Mais Mandelson a déjà menacé les trois pays considérés comme les moins pauvres du groupe -- le Cameroun, le Gabon et le Congo -- d'imposer des tarifs punitifs s'ils ne signent pas d'APE. Cette mesure les priverait d'au moins 350 millions d'euros (503 millions de dollars) de ressources annuelles, selon une étude publiée récemment par l'organisation "Christian Aid".
Offrir aux denrées en provenance de ces pays un traitement de faveur, en l'absence d'un accord de libre-échange, entrerait en contradiction avec les règles de l'OMC, déclare Mandelson. Le système préférentiel, qui couvre les denrées en provenance des pays ACP depuis 2000, doit expirer avant le début de l'année prochaine.
Mandelson rappelle aussi régulièrement que le système préférentiel offert aux producteurs de bananes, par exemple, a déjà été remis en cause par les pays d'Amérique centrale et d'Amérique latine, ce qui laisse croire qu'ils pourraient dénoncer d'autres traitements préférentiels qu'ils estiment discriminatoires à leur égard.
Abéga n'est pas impressionné par la problématique des bananes soulevée par le commissaire. "En affirmant cela, Mandelson tente de créer des divergences au sein de nos pays", dit-il. "Seul un pays d'Afrique centrale, le Cameroun, est producteur de bananes. Les bananes sont certes importantes pour notre économie, mais elles ne représentent pas toute l'économie". L'Amérique centrale n'est pas une cible privilégiée pour les exportateurs de l’UE. Les entreprises européennes témoignent déjà un intérêt croissant pour d'autres régions du continent.
Les pays ACP représentent plus de la moitié des exportations européennes de fleurs, par exemple. Soucieux de leur expansion, des producteurs de fleurs européens s'inquiètent déjà de tarifs de l'ordre de 50 pour cent s'ils vendent vers l'Afrique de l'ouest et exigent de la commission qu'elle revoie cette taxe à la baisse.
Pendant ce temps, les exportations de fruits et de légumes d'Europe vers l'Afrique du Sud ont augmenté de plus de 100 pour cent entre 1995 et 2005, celles de chocolat de près de 40 pour cent.
Paul Goodison, du réseau "European Research Office", qui suit de près le commerce entre l'UE et l'Afrique, estime de son côté que les pays ACP devront être en mesure de protéger certains secteurs importants face aux flux de produits européens importés. Selon lui, ces mesures devront être prises sur le long terme, mais la Commission européenne n'a l'intention de les autoriser que pour deux ou trois ans.
"Il y a clairement une offensive intéressée de la part de l'UE dans les négociations en vue des APE par rapport aux denrées et aux produits agricoles", affirme Goodison. "Etant donné l'inégalité en terme de taille entre l'UE et les économies de chaque pays ACP -- une cargaison en provenance de l'UE peut parfois représenter l'entière consommation annuelle d'un produit -- la commission doit se montrer davantage flexible au sujet des mesures de protection".
Jacob Kotcho, du groupe de pression ACDIC au Cameroun, accuse la Commission européenne de "mauvaise foi", car elle ne prend pas sérieusement en compte les préoccupations des Africains.
"Les marchés européens ont été ouverts aux produits africains durant de nombreuses années, mais ces pays n'ont pas pu en bénéficier", dit-il. "Si nous voulons que le commerce soit au service du développement, nous devons renforcer nos capacités. Une période de transition nous permettrait de le faire".