«Le monde a encore beaucoup à apprendre de la Chine»
QUESTIONS A KEE CHONG LI KWONG WING, ECONOMISTE ET PRESIDENT DE L’AMICALE MAURICE-CHINE
Article publié le Mercredi 13 août 2008.
La Chine s’affirme comme une puissance économique d’envergure, au point de faire trembler les puissances traditionnelles. Le système politique dirigiste et l’ouverture contrôlée du pays sont à la base du développement chinois. L’économiste Kee Chong Li Kwong Wing confie sa perception du parcours chinois.
● Au risque d’être subversif, ne peut-on pas dire que le dirigisme et l’autoritarisme politiques chinois ont été des clés de la réussite économique du pays ?
On dit que la Chine a réussi à cause de son exploitation éhontée de la main-d’œuvre, du non-respect des droits humains, de ses règles opaques et chauvines, de la dégradation dramatique de son environnement, et quoi d’autres encore ? Manipulation du taux de change ? Piratage des inventions ? Le facteur capital, c’est que la Chine n’a pas commis l’erreur d’engager une ouverture débridée dans tous les sens, comme l’a fait par exemple l’ex-URSS en renversant ses systèmes politique et économique à la fois. Le Parti Communiste Chinois est resté maître de la politique de libéralisation, en introduisant l’économie de marché tout en gardant le contrôle du système politique.
On peut certes s’insurger contre la mainmise étatique, voire le totalitarisme du régime. L’autorité du Parti est restée suprême, mais sans qu’il y ait eu perversion ou éclatement de l’Etat par des cliques mafieuses comme dans d’autres régimes autoritaires. Au contraire, le Parti a pu donner un dynamisme à l’économie, en assurant une croissance soutenue dans l’ouverture et en répondant aux besoins de stabilité sociale. D’où l’importance que donne le gouvernement chinois en ce moment au contrôle de l’inflation, aux subventions des denrées alimentaires, et aux aides sociales. Je crois que le monde a encore beaucoup à apprendre de la Chine.
● On dit souvent que la puissance chinoise fait peur. C’est un poids lourd démographique et commercial aux demandes gigantesques. Est-ce l’extraordinaire demande chinoise ou l’érosion d’un ordre mondial «occidentalo-centré» qui fait peur ?
Nous vivons dans un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis, qui agissent tel le sheriff de la planète. Cela ne constitue-t-il pas déjà un danger pour la paix mondiale ? Certes, la Chine a les moyens de devenir une superpuissance économique et militaire. Mais faut-il faire à la Chine un faux procès, quand c’est bien elle qui contribue à maintenir dans les pays développés un niveau de vie et de consommation confortable grâce à ses produits des plus abordables ?
Les Chinois ont un sens du pragmatisme dans les affaires et, à l’évidence, ne sont nullement intéressés à dominer le monde. Leur pays est déjà fragilisé par tous ces soubresauts que sont les catastrophes naturelles, les contestations sécessionnistes, les inégalités économiques, etc. On est encore loin d’un quelconque «péril jaune» que veulent propager certains paranos qui ont plutôt peur de l’effondrement de l’influence occidentale. Il est trop tôt, je pense, pour dire que la Chine est une menace comme on ne cesse de l’entendre.
● Quels sont les principaux défis de la Chine aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à un net ralentissement de la croissance chinoise, ou plutôt à ce que la Chine se hisse au premier rang des puissances mondiales d’ici 2035, comme l’écrit l’économiste américain Albert Keidel ?
La Chine est devenue aujourd’hui un net food importer et un consommateur insatiable de pétrole. Son économie subit de plein fouet les effets inflationnistes des prix des aliments et du pétrole. Le cours des matières premières ne cesse de grimper. La récession ambiante dans les marchés occidentaux réduit ses exportations et la crise du crédit immobilier rétrécit les investissements étrangers. D’autre part, la demande domestique est comprimée par une politique monétaire restrictive et anti-inflationniste, qui sert aussi à refroidir les marchés boursier et immobilier. Pour la première fois, la Chine ne fera pas son taux de croissance rituel à deux chiffres. Et l’écart entre les riches et les pauvres s’agrandira.
Les défis aujourd’hui sont donc nombreux. Il faut contenir l’inflation par des contrôles de prix, des subsides et des restrictions monétaires sans trop d’interventionnisme. Il faut aussi réduire les inégalités sociales et l’écart entre les villes et les campagnes. Ce qui exige des transferts sociaux et surtout un ajustement salarial qui affectera la compétitivité dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre. La consommation locale et les dépenses budgétaires demandent à être dopées pour contrebalancer la chute des exportations et des investissements. Les perspectives de rentabilité des entreprises sont à la baisse. Tout cela demandera vigilance et toutes les ressources excédentaires commerciales, courantes et budgétaires, de la Chine seront mises à disposition pour gérer ces défis.
● Au risque d’être subversif, ne peut-on pas dire que le dirigisme et l’autoritarisme politiques chinois ont été des clés de la réussite économique du pays ?
On dit que la Chine a réussi à cause de son exploitation éhontée de la main-d’œuvre, du non-respect des droits humains, de ses règles opaques et chauvines, de la dégradation dramatique de son environnement, et quoi d’autres encore ? Manipulation du taux de change ? Piratage des inventions ? Le facteur capital, c’est que la Chine n’a pas commis l’erreur d’engager une ouverture débridée dans tous les sens, comme l’a fait par exemple l’ex-URSS en renversant ses systèmes politique et économique à la fois. Le Parti Communiste Chinois est resté maître de la politique de libéralisation, en introduisant l’économie de marché tout en gardant le contrôle du système politique.
On peut certes s’insurger contre la mainmise étatique, voire le totalitarisme du régime. L’autorité du Parti est restée suprême, mais sans qu’il y ait eu perversion ou éclatement de l’Etat par des cliques mafieuses comme dans d’autres régimes autoritaires. Au contraire, le Parti a pu donner un dynamisme à l’économie, en assurant une croissance soutenue dans l’ouverture et en répondant aux besoins de stabilité sociale. D’où l’importance que donne le gouvernement chinois en ce moment au contrôle de l’inflation, aux subventions des denrées alimentaires, et aux aides sociales. Je crois que le monde a encore beaucoup à apprendre de la Chine.
● On dit souvent que la puissance chinoise fait peur. C’est un poids lourd démographique et commercial aux demandes gigantesques. Est-ce l’extraordinaire demande chinoise ou l’érosion d’un ordre mondial «occidentalo-centré» qui fait peur ?
Nous vivons dans un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis, qui agissent tel le sheriff de la planète. Cela ne constitue-t-il pas déjà un danger pour la paix mondiale ? Certes, la Chine a les moyens de devenir une superpuissance économique et militaire. Mais faut-il faire à la Chine un faux procès, quand c’est bien elle qui contribue à maintenir dans les pays développés un niveau de vie et de consommation confortable grâce à ses produits des plus abordables ?
Les Chinois ont un sens du pragmatisme dans les affaires et, à l’évidence, ne sont nullement intéressés à dominer le monde. Leur pays est déjà fragilisé par tous ces soubresauts que sont les catastrophes naturelles, les contestations sécessionnistes, les inégalités économiques, etc. On est encore loin d’un quelconque «péril jaune» que veulent propager certains paranos qui ont plutôt peur de l’effondrement de l’influence occidentale. Il est trop tôt, je pense, pour dire que la Chine est une menace comme on ne cesse de l’entendre.
● Quels sont les principaux défis de la Chine aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à un net ralentissement de la croissance chinoise, ou plutôt à ce que la Chine se hisse au premier rang des puissances mondiales d’ici 2035, comme l’écrit l’économiste américain Albert Keidel ?
La Chine est devenue aujourd’hui un net food importer et un consommateur insatiable de pétrole. Son économie subit de plein fouet les effets inflationnistes des prix des aliments et du pétrole. Le cours des matières premières ne cesse de grimper. La récession ambiante dans les marchés occidentaux réduit ses exportations et la crise du crédit immobilier rétrécit les investissements étrangers. D’autre part, la demande domestique est comprimée par une politique monétaire restrictive et anti-inflationniste, qui sert aussi à refroidir les marchés boursier et immobilier. Pour la première fois, la Chine ne fera pas son taux de croissance rituel à deux chiffres. Et l’écart entre les riches et les pauvres s’agrandira.
Les défis aujourd’hui sont donc nombreux. Il faut contenir l’inflation par des contrôles de prix, des subsides et des restrictions monétaires sans trop d’interventionnisme. Il faut aussi réduire les inégalités sociales et l’écart entre les villes et les campagnes. Ce qui exige des transferts sociaux et surtout un ajustement salarial qui affectera la compétitivité dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre. La consommation locale et les dépenses budgétaires demandent à être dopées pour contrebalancer la chute des exportations et des investissements. Les perspectives de rentabilité des entreprises sont à la baisse. Tout cela demandera vigilance et toutes les ressources excédentaires commerciales, courantes et budgétaires, de la Chine seront mises à disposition pour gérer ces défis.