mardi 4 novembre 2008

Clés pour comprendre ce qui se passe au Kivu

CONGO-KINSHASA. Beaucoup d'intervenants pour de nombreux enjeux dans l'extrême est du pays où le cessez-le-feu a été rompu fin août.

Colette Braeckman - Mardi 4 novembre 2008

La rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP, du leader tutsi congolais Laurent Nkunda) en République démocratique du Congo (RDC) a accusé lundi le gouvernement de «lancer la guerre» en refusant de négocier directement avec son chef, dont les hommes sont aux portes de la ville de Goma.

Pourquoi Bernard Kouchner, a-t-il été accompagné à Kinshasa, Kigali et Goma par son homologue britannique David Miliband?

Alors que les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda sont rompues (même si Kouchner a gardé de bons contacts personnels à Kigali), la Grande-Bretagne est le principal soutien du Rwanda: 790 millions de dollars d'aide pour cinq ans. Le cabinet de l'ancien premier ministre Tony Blair (devenu un ami personnel du président Paul Kagame, comme Bill Clinton) a envoyé des conseillers à la présidence rwandaise. Les Britanniques sont aussi en tête des pays contributeurs d'aide au Congo. Leur influence dans la région a crû considérablement, au détriment des Français et des Belges.

Que fait l'Union européenne?

Devant les ministres des Affaires étrangères réunis lundi à Marseille, Bernard Kouchner et David Miliband préconisent désormais de renforcer la Monuc au lieu d'envoyer une force européenne au Kivu (pour le Rwanda, le déploiement de troupes françaises à Goma, même sous bannière européenne, était inacceptable et les Allemands y étaient opposés). L'UE prépare un sommet sur la crise congolaise, auquel participeraient les présidents Kabila et Kagame. Selon David Miliband, l'envoi d'une force militaire européenne n'est cependant pas exclue, afin de «sécuriser» l'aide.

Quels sont les conseils prodigués à Kabila et Kagame?

Le chef de la diplomatie belge Karel De Gucht a remercié le président Kagame pour «son influence modératrice» exercée sur Nkunda. Les émissaires européens insistent sur la nécessité d'appliquer les accords de Nairobi, qui prévoient le désarmement et le rapatriement des combattants hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ils soutiennent aussi le programme Amani, adopté après la conférence de Goma de janvier 2008, qui répond aux revendications des Tutsis et prévoit le désarmement de tous les groupes armés. Auprès du président Kabila, tous les émissaires européens insistent sur la nécessité d'une négociation politique avec Laurent Nkunda, portant sur la sécurisation des Tutsis congolais, le désarmement des combattants hutus, la normalisation des relations avec le Rwanda.

Que veut Laurent Nkunda?

Il se présente comme le défenseur des Tutsis congolais, demande le retour des réfugiés vivant dans les pays voisins (accepté par la conférence de Goma à condition que le Haut-Commissariat aux réfugiés procède à leur identification), exige le désarmement des FDLR qui combattent souvent aux côtés des forces gouvernementales. Mais cette fois il va plus loin: il veut discuter d'égal à égal avec Kabila, prône le séparatisme, lance un «rassemblement pour l'indépendance du Kivu», et rejette désormais le programme Amani qu'il avait accepté en janvier.

Que dit le gouvernement de Kinshasa?

Le président Kabila est prêt à rencontrer Kagame; l'Assemblée nationale, sous la houlette de Vital Kamerhe, a élaboré un «plan de sortie de crise» qui prévoit un «dialogue politique et militaire» avec le mouvement de Nkunda, la normalisation des relations avec le Rwanda et une véritable réforme de l'armée. Le gouvernement, qui vient d'être mis sur pied par le Premier ministre Muzito, refuse de négocier directement avec Nkunda: «Le fait de créer un désastre humanitaire ne donne pas de droits spéciaux», a déclaré le nouveau ministre de l'Information, Lambert Mende.

Quelle est réellement la situation à Goma?

Un cessez-le-feu vient d'entrer en vigueur et la police congolaise patrouille aux côtés des Casques bleus. La Monuc répète son intention «d'interdire à des forces armées rebelles d'entrer dans la ville», mais l'ONU ne dispose que de 6000 hommes à Goma sur un total de 17000. La ville se remet difficilement des pillages et tueries qui ont eu lieu dans la nuit du 30octobre, attribués à des éléments des forces gouvernementales qui avaient échappé à leur commandement. La brigade qui avait dévasté Goma a voulu se replier sur Bukavu, mais a été stoppée en cours de route par d'autres militaires. L'organisation des droits de l'homme PDH a recensé 18 morts.

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La débandade de l'armée sonne comme un échec pour les Vingt-Sept

La volonté européenne de mettre un terme au conflit dans le Kivu bute sur l'état des forces congolaises.

Richard Werly, Bruxelles

Les 4 millions d'euros d'aide humanitaire débloqués le 30 octobre par la Commission européenne pour palier à l'urgence humanitaire dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) masquent un débat houleux à Bruxelles. Alors que les ministres des Affaires étrangères français, britannique et belge se sont succédé le week-end passé chez le président rwandais Paul Kagame, des experts pointent du doigt l'échec de la mission européenne de réforme des forces de sécurité congolaises (Eusec Congo) en place depuis juin 2005. La débandade de l'armée gouvernementale face aux rebelles du général Laurent Nkunda - homme lige du pouvoir de Kigali - a confirmé combien restait fragile l'assise militaire du président Joseph Kabila, élu le 29 octobre 2006.

«L'un des principaux problèmes de la réforme du secteur de la sécurité au Congo réside dans son label de produit d'importation, affirme Sébastien Melmot, de l'Institut français de recherche internationale (IFRI), auteur d'un rapport sur le sujet. Depuis ses débuts, cette restructuration de l'armée congolaise est plus induite par l'offre que par la demande.»

La question est douloureuse pour Bruxelles. Après le succès de l'opération Artémis de juin-septembre 2003, conduite par l'armée française autour de la ville de Bunia ravagée par les milices, l'Eusec Congo, accompagnée d'une opération d'appui à la police congolaise (Eupol), était considérée comme un pilier d'une transition réussie à Kinshasa. L'idée de base consistait, à partir du «brassage» des unités diverses présentes sur le territoire (ex-armée zaïroise, forces pro-Kabila, troupes favorables à son rival Jean-Pierre Bemba aujourd'hui incarcéré à la Cour pénale internationale de La Haye) à mettre sur pied une armée réduite dotée d'un état-major professionnel, au lieu des 150000 à175000 combattants épars, commandés par des officiers transformés en seigneurs de la guerre locaux par les longues années de conflit.

«Criminalité en kaki»

Quelque 8,5 millions d'euros ont été alloués à cette opération de 46personnes pour 2008-2009. Mais la réforme d'une armée composée sur le papier de 63% d'officiers, dont le commandement est soupçonné de détourner plusieurs millions de dollars par mois, s'est avérée impossible. En août 2006, les affrontements à l'arme lourde à Kinshasa entre pro-Bemba et pro-Kabila, avaient illustré la dégradation du climat sécuritaire. Or comme le démontre ces derniers jours l'aggravation subite de la situation dans le Kivu et l'afflux chaotique de réfugiés vers Goma, tout est lié dans l'immense Congo où l'ONU apparaît impuissante malgré ses 17000casques bleus. Les abus commis par les soldats gouvernementaux sont restés légion: «Dans certaines zones gouvernementales, les violences sexuelles sont évaluées à environ 600 cas par mois, complète Sébastien Melmot. Et la «criminalité en kaki» a proliféré à Goma.»

Un ancien haut responsable de l'Eusec confirme: «A force de vouloir intégrer à tout prix tous les chefs de milices, nous avons tué dans l'œuf l'idée même de réforme. En plus, nos relations avec les ministres congolais de la Défense ont souvent été très difficiles.»

Plus grave pour l'UE, son empressement diplomatique et humanitaire au Congo n'a pas été au rendez-vous dans le domaine militaire et policier. Au début 2008, la succession à la tête de l'Eusec du général français Michel Joanna a donné lieu à une passe d'armes entre la Belgique et l'UE. L'ancienne puissance coloniale voulait imposer son candidat. Paris a obtenu, in fine, le poste pour un des siens, le général Jean-Paul Michel. Preuve des rivalités ambiantes entre Européens, et aussi entre l'UE et l'ONU: «La multiplication des «cavaliers solitaires» est recherchée par le gouvernement congolais», juge le rapport de l'IFRI.

Lequel conclut: «L'absence de coordination qui règne au sein du pouvoir à Kinshasa contraste à peine avec le semblant de coordination internationale. Une réalité qui pourrait conduire le président Joseph Kabila à s'orienter sur le plan militaire, comme il l'a fait pour la construction des infrastructures, vers un autre partenaire: la Chine, avec laquelle l'UE tente, non sans difficulté, de coopérer davantage en Afrique.